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avec la diffusion actuelle des valeurs mobilières, sera de plus en plus attiré de ce côté par un gain supérieur, et préférera ce clair revenu, au moins jusqu’à ce qu’il ait amassé de quoi acquérir quelque chose de mieux qu’un lopin s’en allant en poussière. La moyenne propriété, pendant ce temps, profite des progrès de l’industrie agricole, qui met à sa disposition, par de nouveaux moyens, quelques-unes des ressources de la grande culture. S’il y avait une crainte à concevoir aujourd’hui, ce ne serait pas que le progrès excessif de la petite propriété vînt, pour ainsi dire, pulvériser la terre, ce serait plutôt que la force de concentration des capitaux créât à nouveau la grande propriété, comme on a vu dans nos grandes villes, pour certains commerces, d’immenses bazars étouffer les petits magasins.

Il est certain toutefois qu’il n’y a pas de législation parfaite entre les hommes. Nul des défenseurs du code civil ne conteste qu’il ne puisse recevoir quelques améliorations partielles; le récent abaissement des droits de succession pour les petits héritages peut être le prélude d’autres réformes. On accorde généralement que la quotité disponible pourrait être augmentée jusqu’à la moitié, quel que soit le nombre des enfans, de manière à laisser une plus grande liberté au père. Bonaparte avait proposé en 1803 de graduer la légitime selon la quotité de la succession plutôt que suivant le nombre des enfans, de telle sorte que la liberté de tester fût grande pour les petites gens et restreinte pour les riches. On conserverait ainsi les humbles fortunes et on empêcherait qu’il ne s’en formât de trop considérables. M. de Ribbe se demande pourquoi, si les familles riches acceptent aujourd’hui la contrainte du code civil, on n’adopterait pas cette solution; mais son vœu sincère, celui de tous ses amis, est pour ce qu’il appelle le droit commun de la liberté testamentaire. Proclamer cette prétendue liberté, ce serait cependant ramener le privilège, autoriser le droit d’aînesse, sinon l’ordonner, comme la loi le faisait jadis; ce serait détruire cette règle de l’égal partage si conforme à l’équité et si profondément entrée dans nos mœurs. Bien plus, ce serait porter une atteinte formelle à tout un édifice politique et moral auquel ne manqueraient pas les défenseurs. Il suffit ici de quelque alarme pour éveiller de très vives et très dangereuses défiances. Quels que soient le patriotisme, le bon vouloir, les lumières des publicistes qui se sont engagés dans cette voie, ils rencontreront toujours entre eux et la nation le fantôme du droit d’aînesse. Pourquoi ne pas se réconcilier plutôt avec son temps, afin que sur d’autres points il accepte sans arrière-pensée des conseils dont il ne saurait méconnaître l’accent généreux et élevé?


A. GEFFROY.