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tique, car enfin nous ne sommes pas seuls dans le monde, nous avons à compter avec des alliés, si nous voulons en retrouver, et sans doute aussi avec des adversaires qui ne désarment pas facilement. Pendant que nous nous agitons ici à la recherche du meilleur des gouvernemens, M. de Bismarck ne dédaigne peut-être pas de s’employer à nous créer des embarras. A-t-il songé, comme on le dit, à faire revivre une candidature Hohenzollern à Madrid ? S’est-il donné du mouvement, comme on l’assure, pour attirer le roi Victor-Emmanuel à Berlin et faire croire à une alliance définitive de l’Allemagne et de l’Italie ? M. de Bismarck a bien pu songer à profiter des circonstances, des déclamations auxquelles on se livre trop souvent parmi nous au sujet de Rome pour essayer d’entraîner l’Italie dans une politique d’hostilité ou de menace contre la France. Le gouvernement italien ne peut se laisser tromper sur la valeur de ces avances, pas plus qu’il ne peut croire sérieusement à un conflit dont la France prendrait l’initiative. Toujours est-il que ces symptômes sont faits pour nous éclairer et pour nous servir de frein au moment où nous pourrions nous laisser aller à compromettre les intérêts supérieurs du pays dans de mesquines et stériles luttes de partis.

Les réconciliations et les rapprochemens sont de saison. Après la guerre, la paix ; après les coups de canon et les disputes à main armée pour la conquête des provinces, les visites princières. Le temps d’ailleurs guérit tout et finit par émousser les ressentimens. Les faits sont accomplis, pourquoi revenir toujours sur le passé ? C’est du moins l’avis des vainqueurs. L’Allemagne n’en veut pas au Danemark ; elle vient de le montrer par le récent voyage du prince impérial de Prusse à Copenhague.

Depuis huit ans déjà, il est vrai, le Danemark en est toujours au même point dans ses relations avec le cabinet de Berlin, c’est-à-dire qu’il n’a pu arriver à obtenir l’exécution de l’article 5 du traité de Prague ; il ne cesse de revendiquer les districts du nord du Slesvig, qu’on ne veut pas lui rendre. Que veut-on faire de ces districts ? Quand et comment se propose-t-on d’exécuter ce malheureux article 5 des conventions de Prague ? M. de Bismarck y pense quand il a le temps, en homme qui ne voit pas là une affaire d’importance, qui ne se gêne pas et qui au besoin, lorsqu’il le croit nécessaire, sait amuser son monde en manifestant hs intentions les plus conciliantes, sans aller au-delà des intentions, bien entendu. Il y a quelques mois, rencontrant à Berlin, dans une réunion du monde officiel, M. Kryger, député du Slesvig au Reichslag allemand, il allait à lui et il s’abandonnait familièrement à une conversation assez singulière. Le chancelier prussien se montrait tout à fait bon prince ; il convenait de tout, il reconnaissait qu’on avait des torts à racheter envers le Danemark, il laissait entrevoir les dispositions les plus favorables, si bien que M. Kryger se retirait aussi étonné que satisfait. M. Kryger s’est empressé peu après de