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dans ces questions abstruses que soulève l’interprétation des contes, il faut s’inquiéter d’en établir le texte exact, d’en collationner les variantes, de noter les élémens indigènes et étrangers qui les ont constitués. C’est là une tâche difficile, dangereuse même, car dans certains pays, en Russie par exemple, il n’est pas toujours commode, il est quelquefois malsain et mortel d’aller étudier au foyer du paysan la littérature populaire.

Pendant longtemps, on s’est contenté d’étudier les contes populaires de la Russie sous la forme incorrecte que leur avaient donnée les entrepreneurs de librairie à bon marché, les vendeurs de livres imprimés sur papier de tilleul (lubochnuya knigy). Ces publications ont obtenu et gardent encore une vogue considérable ; mais les littérateurs de bas étage qui les ont compilées ont moins songé à la pureté des textes, à la collation des variantes, qu’à l’intérêt dramatique du récit. Sur des thèmes nationaux, ils ont brodé des ornemens étrangers, ils ont emprunté plus d’un conte à l’Allemagne, à la France, à l’Italie, et l’on ne peut guère se fier à eux pour connaître les traditions originales du peuple russe. On s’exposerait à de lourdes erreurs en signalant des rapprochemens intimes entre deux textes dont l’un ne serait guère que la traduction de l’autre. Ainsi on ne saurait aujourd’hui attacher un sérieux intérêt aux Contes russes (Russische Volksmærchen) publiés en 1831 à Leipzig par Dietrich. A l’époque où ce recueil parut, il n’existait pas encore d’édition critique des textes originaux. Ce n’est que depuis une quinzaine d’années qu’on s’est occupé sérieusement de les recueillir. On a vu paraître successivement la collection d’Afanasîef, qui ne compte pas moins de huit volumes, celles de Kudyakov et de Tchoudinsky. Un savant de la Petite-Russie, M. Roudchenko, a édité deux volumes de contes de cette région, recueil fort précieux, mais malheureusement difficile à consulter, même pour les Russes, car le dialecte dans lequel il est écrit réclame un vocabulaire spécial qui n’existe point encore, et que le gouvernement de Saint-Pétersbourg se soucie peu de voir mis au jour. Sauf dans quelques recueils allemands, on n’a guère tiré parti en Occident des richesses accumulées dans ces diverses publications. Un écrivain anglais, M. Ralston, est le premier qui les ait mises à profit dans son ouvrage sur les Chants populaires de la Russie[1].

Aujourd’hui M. Ralston s’attaque directement aux contes russes, dont ses études antérieures lui ont facilité l’accès et l’intelligence. M. Ralston lit avec aisance des textes qui ne sont pas toujours aisés à entendre ; il connaît les interprétations et les commentaires auxquels ils ont donné lieu. Il a des notions approfondies sur les contes populaires dans les littératures indienne, germanique, Scandinave, et dans les littératures slaves, en tant du moins qu’elles lui sont accessibles par des traduc-

  1. Songs of the Russian People, Londres 1872, Ellis, Green and C°.