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coup plus de sang tatar? S’il n’y avait eu en Russie d’autre invasion tatare ou turque que celle du XIIIe siècle, la solution de cette question serait aisée. On se convaincrait promptement que le peuple russe a moins de sang tatar que le peuple espagnol de sang arabe. En Espagne, les Arabes sont demeurés bien plus longtemps : ils ont occupé une bien plus grande portion du territoire; ils se sont établis en bien plus grand nombre et ont tenu la péninsule sous leur domination directe. En Russie, les Tatars, entrés au XIIIe siècle, ont été repoussés aux extrémités dès le XVIe siècle; ils n’ont guère régné que sur une moitié de la Russie d’Europe, et la plus grande partie de ces possessions, ils les ont maintenues non pas sous leur domination directe, mais seulement sous leur suzeraineté; ils n’ont pas détruit les souverainetés russes, mais se sont contentés de les rendre tributaires. Les Arabes ont occupé les plus belles parties de l’Espagne, celles qui sont encore aujourd’hui les plus fertiles et les plus peuplées; les Tatars se sont répandus dans les parties encore les moins habitées de la Russie, sur les steppes du sud et de l’est. Dans le centre, ils ne se sont avancés que le long des fleuves, remontant le Volga et ses affluens, comme le montre encore leur répartition actuelle. Ce n’était même point au milieu des Russes que pénétraient ces colons tatars; les Russes avaient à peine atteint le bassin central du Volga et le confluent.de ce fleuve avec l’Oka à Nijni-Novgorod; c’était au milieu de tribus finnoises dont nous voyons encore les débris dans les Mordvines, les Tchérémisses, les Tchouvaches, et dont plusieurs, comme ces derniers, se sont laissé tatariser. Les Turcs de Russie n’ont point, comme les Arabes d’Espagne, développé une riche et industrieuse civilisation; loin de s’adonner tous à la vie sédentaire et agricole, ils étaient en grande partie demeurés nomades. Leurs villes étaient peu nombreuses, et les plus grandes petites en comparaison des capitales des Maures d’Espagne. Avec un territoire trois ou quatre fois plus grand, il est douteux que la Horde-d’Or ait jamais approché de la population du khalifat de Cordoue. L’analyse des deux langues fournit les mêmes remarques. L’influence de l’arabe sur l’espagnol dans le vocabulaire comme dans la prononciation paraît avoir été plus grande que celle du turc ou tatar sur le russe.

Les musulmans de Russie ont-ils eu sur la formation de la population chrétienne une plus grande influence, parce que, au lieu de les expulser violemment ainsi que la catholique Castille, la Moscovie orthodoxe leur a laissé leur religion et leur nouvelle patrie? Le contraire est peut-être plus vraisemblable. En Russie comme en Espagne, les motifs de séparation entre les vainqueurs et les vaincus restaient les mêmes au temps de la domination de la croix qu’au temps de sa sujétion; ils se résumaient tous dans la religion, qui entre les deux races mettait une barrière difficile à franchir : de l’une