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avec un goût rare. Lorsque, surmontant sa paresse ou obéissant à un caprice, elle accompagnait son mari dans une des fêtes officielles données par la ville, sa beauté fine, toute faite de charmes, éclipsait les plus renommées. Cependant la douce Lorenza n’avait que des amies, et lorsqu’un étranger s’extasiait sur la beauté des Cordovaises, on lui répondait invariablement : — Que diriez-vous donc, si vous pouviez voir Lorenza Cortès? Elle est unique, comme le soleil. — On souriait; mais le dimanche, à l’église, où elle ne manquait jamais de venir entendre la messe, ceux qui voyaient passer la belle hacendera approuvaient l’éloge ambitieux de ses compatriotes.

D’après l’opinion des dons Juans de l’endroit, cette gracieuse statue, si agréable à contempler, manquait complètement d’âme. La langueur éteinte de son regard, la lenteur de sa marche, l’indolence de sa parole et de ses gestes le prouvaient. Aucun compliment, aucun témoignage d’admiration ne réussissait à troubler l’impassible quiétude de la belle créole. Elle ne s’éveillait que pour son mari, et le suivait avec ardeur lorsqu’il franchissait une haie, poursuivait un taureau ou accomplissait une de ces dangereuses prouesses auxquelles se plaisent les cavaliers mexicains.

Dans les rares occasions où don Luis ne revenait pas de la ville à l’heure accoutumée, Lorenza se mettait à table, puis, son repas rapidement terminé, elle s’établissait sur la terrasse. Là, enveloppée de l’écharpe de soie dont les Mexicaines ont fait une parure nationale, elle attendait, rêveuse, la tête tournée vers la route, fumant de minces cigarettes d’un tabac parfumé. Le galop d’un cheval venait-il à résonner, les narines de la créole se dilataient, son front se redressait, un sourire entr’ ouvrait ses lèvres rouges. Si elle se levait pour gagner sa chambre, faisant claquer ses mules brodées d’or sur les dalles, dénouant sa noire chevelure, qui l’inondait de ses boucles luisantes, les serviteurs couraient à leurs postes respectifs, certains que le maître arrivait.

Don Luis au contraire était remuant, inquiet, sans cesse par monts et par vaux. Chaque jour, il parcourait une partie de son domaine, allait visiter un de ses voisins, ou se rendait à la ville; mais, après une absence de quelques heures, c’était toujours au galop de sa monture qu’il revenait près de Lorenza. Il aimait sans partage cette créature somnolente, gracieuse, sans volonté apparente, qui au besoin savait monter un cheval fougueux et le dompter. Un seul bonheur manquait aux deux époux, un fils.

Un soir, vers l’époque où les vents du sud font leur apparition sur les côtes du golfe du Mexique, c’est-à-dire en mars, des nuages sillonnés d’éclairs couvrirent soudain la petite vallée. Il était quatre