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prises des brouillons. Que si au contraire la foi dynastique est morte ou affaiblie, la république a cet avantage considérable, que le pouvoir y a moins d’adversaires, qu’il n’encourt pas la malveillance de beaucoup d’honnêtes gens à qui la royauté est odieuse, quel que soit le prince, et qu’il peut appliquer à la défense des intérêts sociaux toutes les forces qui s’emploient ailleurs à soutenir, tant bien que mal, un trône compromis ou détesté. La question, si un peuple est mûr pour la république, se réduit donc à savoir si, dans l’état de l’opinion, la royauté est pour le pouvoir une force ou une faiblesse, car dans le siècle où nous sommes la société a déjà tant d’ennemis que ce serait à elle la plus chevaleresque des folies de se mettre encore sur les bras tous ceux de ses amis qui n’aiment pas les rois ou qui s’en défient. À la mort de Ferdinand VII, cette question ne s’est pas posée pour l’Espagne ; les honnêtes gens qui n’aiment pas les rois y étaient fort rares, le sentiment monarchique était répandu dans toutes les classes, elles respectaient presque à régal l’une de l’autre la majesté divine et la majesté humaine, qu’elles étaient accoutumées à ne point séparer dans leurs hommages. Les Espagnols étaient au nombre de ces peuples qui considèrent un trône comme la clé de voûte de l’édifice politique, qui estiment qu’une société sans roi est une maison sans plafond. Ayant passé avec une dynastie un contrat de mariage que les siècles avaient consacré, ils confondaient intimement leur destinée avec la sienne. Ni les déloyautés, ni les perfidies, ni les cruautés narquoises du protégé de Louis XVIII n’avaient pu décourager la fidélité de ses sujets.

La première condition pour l’établissement d’une monarchie constitutionnelle se trouvait ainsi remplie ; mais ce n’est pas assez que l’opinion publique soit respectueuse, il importe encore qu’elle soit vigilante et active, que la majorité de la nation ait l’œil ouvert sur les événemens, qu’elle s’intéresse aux questions, qu’elle s’en forme un jugement plus ou moins raisonné, qu’elle soit disposée à user de tous les moyens légaux pour exprimer son avis et le faire prévaloir. L’opinion doit être non-seulement le soutien, mais la règle du pouvoir ; si elle se tait, il n’a plus de boussole, et le gouvernement de la discussion est remplacé par le gouvernement de la fantaisie.

Le malheur est qu’en Espagne l’opinion publique manque de cette fermeté de trempe, de cette constance dans l’attention, qui protègent le pouvoir et contre les menées des conspirateurs et contre ses propres entraînemens. Elle est sujette à de fatales indifférences, défaut commun à ces nations fortunées du midi où le soleil tient lieu de tout, et qui n’ont pas besoin d’être très bien gouvernées pour être heureuses. Au surplus, les vicissitudes des événemens et des caractères lui ont appris à douter de beaucoup de choses, son indiffé-