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fort et aime beaucoup qu’on lui dise qu’il n’y a rien à craindre ni à espérer après la mort. Edwin s’attache à lui persuader qu’une vie simple et laborieuse n’exclut pas le bonheur, et la décide à essayer le dimanche suivant d’une simple partie de plaisir comme celles que de petits bourgeois peuvent se permettre. Sa passion pour la ravissante sirène, dont il ne peut réussir à faire battre le cœur, va toujours en grandissant. On s’amuse beaucoup pendant cette excursion dans la banlieue de Berlin, où l’on a dîné avec Marquard et une jeune actrice, Mohr et Mlle Christiane; même au retour et malgré la réserve stoïque toujours gardée par le jeune professeur, il y a une scène de fiacre, un baiser surpris sur les lèvres de la belle endormie, qui nous a fait un moment trembler pour leur philosophie, mais cela ne va pas plus loin. Il paraît pourtant que l’athéisme ne protège pas contre la jalousie, car Mlle Christiane, qui a découvert l’amour passionné d’Edwin pour Toinette, quitte brusquement la société dont elle faisait l’ornement et revient désespérée dans sa chambre solitaire, maudissant les dieux et les hommes, surtout les dieux.

Cette soirée devait être fertile en incidens. Balder, pendant que son frère allait en partie fine dans les environs de Berlin, avait eu aussi son rayon de soleil. Il avait causé avec sa chère Réginette, il l’attendait encore dans la journée, se sentant mieux après une crise heureusement surmontée, s’abandonnant aux longs espoirs des poitrinaires, et décidé à ouvrir enfin son cœur à la jolie fille de son hôte. Comme elle tardait, il était descendu dans la petite cour, et qu’entend-il? Les déclarations brûlantes de son ami Franzelius à la jeune fille, qui lui répond de manière à encourager les plus douces espérances. Le pauvre Balder ne put tenir contre ce coup qui le frappait droit au cœur, et quand le soir Edwin rentra de sa partie de plaisir, il trouva son frère couché, sans connaissance et dans une position des plus graves.

Christiane était rentrée aussi; mais il y avait quelqu’un chez elle, un certain Lorinser, que nous n’avons pas encore eu l’occasion de présenter. Ce nouveau personnage fait dans le roman la fonction du monstre et s’en acquitte à merveille. Qu’on se figure un grand brun, candidat au saint ministère, au visage pâle et passionné, aux cheveux épais, aux yeux toujours levés vers le plafond ou baissés vers le sol, mais qui, lorsque par hasard ils s’ouvrent sur vous, vous fixent ou plutôt vous transpercent avec deux prunelles mobiles couleur de vif argent. Cet individu avait déjà fait plus d’une apparition dans le récit, tantôt chez la dame Valentin, tantôt chez Christiane, qu’il avait pris à tâche de convertir. C’était un étrange convertisseur, professant une sorte de mysticisme à la fois exalté et sensuel dont le fin mot revenait à ceci, que l’on vient à Dieu en s’abandon-