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par le monde des esprits assez mal faits pour s’engouer rétrospectivement du régime de la terreur, — d’autres, dont l’âme se délecte dans l’idée qu’elle n’existe pas, — d’autres enfin, beaucoup d’autres, plus sensés dans leurs opinions, mais bien médiocres par l’intelligence. Tout cela est accordé. Maintenant qu’ai-je prouvé? Rien, absolument rien. C’est toujours l’histoire du lion de La Fontaine regardant l’image où l’on voit un homme terrassant un lion. « Si mes confrères savaient peindre ! » dit-il en grommelant. Or je ne puis me dissimuler que, parmi mes adversaires, il en est qui savent peindre aussi. Ils n’auront qu’à retourner mon procédé pour avoir juste autant raison que moi. Ils m’opposeront des républicains d’une grande valeur intellectuelle, des libres penseurs immaculés, ils les mettront en face des marquis de Carabas et des comtesses de Pimbêche, et le tour sera fait. Convenons-en une fois pour toutes, des romans à tendance didactique taillés sur un pareil patron n’ont pas un atome de valeur logique, et tout le talent, toute l’imagination de leurs auteurs, toute l’ornementation de détail dans laquelle ils peuvent exceller, ne parviendront jamais à leur donner ce qui leur manque.

A quelle condition un roman peut-il donc démontrer quelque chose ? A la condition que la thèse à prouver découle de faits naturels, de caractères vraisemblables, avec une nécessité telle que toute idée de partialité ou d’arbitraire soit bannie de l’esprit du lecteur. Il faut que l’on puisse se dire que, quand bien même les faits et les caractères eussent été autres qu’on ne les a présentés, la conclusion n’eût pas essentiellement différé. Si vous voulez démontrer l’excellence d’un principe religieux ou social, ou, ce qui au fond revient au même, la fausseté, les dangers du principe opposé, gardez-vous de donner pour uniques représentans du principe que vous condamnez des scélérats ou des idiots ; montrez au contraire que, même incarné dans un homme de haute intelligence et de caractère noble, il porte inévitablement ses mauvais fruits; faites voir qu’en revanche la supériorité du principe contraire sauve des hommes médiocres des dangers et des malheurs auxquels sans lui ils eussent succombé. Revenez sur ce point à la méthode de nos grands classiques : un caractère, une passion, un principe étant donnés, ils ne s’écartent jamais de ce que, dans la logique impersonnelle des choses, ce caractère, cette passion, ce principe, doivent nécessairement produire. Le roman, comme le drame, est essentiellement déterministe. Néron par exemple est un monstre en germe, dont les vices, encore latens, n’attendent que l’heure favorable pour éclore : nous voyons dans Britannicus comment un amour très vraisemblable chez un jeune prince et l’irrésistible tentation d’user de la