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contentait pas des dons du ciel, qui prétendait mieux faire encore, graver davantage, mêler en lui plusieurs artistes et réunir des mérites différens, quelquefois opposés. Autant par-delà les Alpes on est idolâtre de la mélodie, autant de l’autre côté du Rhin on est amoureux des accords et de l’harmonie, cet autre langage fait pour des pensées plus abstraites ou plus vagues. La musique de ce pays s’adresse plutôt à l’esprit, et cela est tout simple chez un peuple qui met volontiers une théorie entre lui et la nature. M. Blaze a des traits d’une justesse bien originale sur l’auteur du Freischütz, cet artiste si peu soucieux de rendre les passions humaines et de créer des caractères. Toutes les femmes dans Weber se ressemblent entre elles, tous les hommes sont les mêmes : les premières ne sortent pas de leur passivité contemplative, de leur inaction dans le mysticisme sentimental; les autres sont régulièrement des ténors élégiaques et plaintifs ou des basses-tailles résumant dans leur personne toutes les difformités morales. La passion humaine en est absente.

On voit ce qu’un poète peut apporter de vie et de chaleur à la critique musicale : le fantaisiste ne trouve pas un moindre champ pour s’y exercer; mais, comme il a rencontré dans cette région de l’art et dans l’école qui prétend en reculer les limites toute sorte de prétentions fastueuses il a bien fallu s’armer de l’ironie. L’humour est un excellent procédé de satire; il ne serait qu’un divertissement puéril, s’il ne se chargeait pas de venger le bon sens. Fallait-il donc s’incliner devant les nouveaux doctrinaires de la musique, détrôner Mozart comme suranné, Beethoven comme timide et incomplet, Meyerbeer comme éclectique et sans conviction, Rossini parce qu’il n’était que l’homme de son temps? Le sens commun a prononcé l’arrêt, il n’est donné à personne de s’emparer des générations actuelles au nom de celles qui n’existent pas et qui ne peuvent dire leur mot dans le procès. Le présent a justement pour mission dans les arts de préparer l’avenir, et c’est un mauvais signe de longévité que d’éprouver une telle difficulté de vivre.

Le wagnérisme, pour guérir le monde de la mélodie, a inventé ce qu’il décore du nom de « mélodie continue, » précisément parce qu’il n’y en a point, observe plaisamment M. Blaze, lucus a non lucendo! La mélodie ne périra pas, à moins qu’on ne dise que la précision des pensées doit périr. — A coup sûr, rien ne serait moins français. Il n’en est pas moins vrai que l’art va se compliquant de plus en plus, et que les dernières années ont vu s’établir ce que l’écrivain appelle avec énergie un pangermanisme musical. Est-ce une mode? est-ce une œuvre du temps qui n’éprouve plus les mêmes besoins de cœur et d’imagination? Il y a de l’un et de l’autre. Que la mode ait tourné à l’imitation allemande, cela n’est pas douteux :