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doyèrent souvent, qu’ils affectèrent jusqu’au dernier moment de mépriser, ne leur eût apporté le secours de son esprit politique. Cet empire, que les Phanariotes et les exilés dispersés depuis longtemps sur la terre étrangère, mais y gardant le culte de la patrie absente, ont pu prendre et exercer en Grèce au milieu des plus horribles convulsions, la force des choses le donnera bientôt en Turquie à ceux des sujets du sultan qui sauront les premiers répondre aux exigences des sociétés modernes. Il n’est donc pas impossible que ce prétendu empire ottoman soit bientôt gouverné par des chrétiens. Ce qui est infaillible, c’est l’abolition très prochaine de la prédominance d’une race sur l’autre. Il n’y a plus dans les états du grand-seigneur de vainqueurs et de vaincus ; il y a des sujets soumis encore à des charges inégales, et cette différence, qui n’est pas sous tous les rapports à l’avantage de la race conquérante, tend à s’effacer de jour en jour. Qu’arriverait-il si la situation du raïa devenait à ce point enviable que le raïa ne se sentît plus convié à en changer ? Le calme musulman ne communiquerait-il pas à cette agglomération de chrétiens et de Turcs certaines qualités qui n’ont jamais été le privilège de la race grecque ? On verrait alors un état puissant, ouvert à toutes les entreprises européennes, jouissant de la paix intérieure, se placer en regard d’un état troublé par des rivalités acharnées, par des compétitions insatiables, par cette fureur de dénigrement qui a tant de fois fatigué les échos du Pnyx. La comparaison ne serait pas favorable au petit royaume que l’Europe a fondé. Pour moi, qui me sentais déjà philhellène, et qui le suis devenu bien plus encore depuis que j’ai pénétré dans cette histoire toute tissue d’héroïsme, je ne puis faire des vœux qu’en faveur de celui des deux peuples qui a mes sympathies. Je souhaite donc très chaleureusement qu’il soit plus avantageux de vivre sous les lois du roi des Hellènes que sous celles du commandeur des croyans. J’espère que ce souhait est déjà, au moment où je parle, depuis longtemps accompli. S’il ne l’était pas, je me permettrais de rappeler aux descendans des Thémistocle et des Aristide tout le tort que le défaut d’union a fait à leurs aïeux. Sans m’immiscer en rien dans leurs affaires, — la France, hélas ! a bien assez des siennes, — je leur avouerai que j’ai été très frappé de cette phrase écrite par le capitaine Fleury de la Galatée le 26 janvier 1827 : « Le prince Ipsilanti et le comte Metaxa sont jusqu’à présent les deux Grecs les plus raisonnables que j’aie rencontrés. Ceux-là du moins ne disent du mal de personne. »


E. JURIEN DE LA GRAVIERE.