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dominait alors dans la société française avait continué de régner sans contre-poids, on ne dût attribuer à l’éducation comme à la littérature classique une forte part des désordres moraux qui sont passés en France de l’état aigu à l’état chronique; nul doute par conséquent que le discours tel qu’on l’entend dans nos lycées, genre classique par excellence et le premier de nos exercices scolaires, qui participe des infirmités que présente en son essence la plus pure notre littérature des deux derniers siècles, et avec celle-ci la littérature latine, ne dût être rendu principalement responsable de beaucoup de nos extravagances politiques. Pour faire ainsi le procès au discours et pour représenter nos élèves comme dépourvus de toute notion positive, lorsqu’ils abordent les exercices de la rhétorique, il faut commencer par oublier l’un des faits saillans du développement intellectuel de l’époque contemporaine : la rénovation de la science historique et l’introduction dans les collèges de l’Université de l’étude méthodique de l’histoire. M. Guizot, en écrivant l’Histoire de la civilisation en France, Cuvier, en composant le programme des classes d’histoire et de géographie pour nos établissemens secondaires, ont opéré dans l’instruction classique et dans la tenue d’esprit des véritables lettrés une révolution bienfaisante dont les résultats étaient déjà sensibles vers le milieu du règne de Louis-Philippe. Rome républicaine, telle que l’avaient conçue Corneille et Voltaire dans leurs tragédies, telle que se l’était figurée ingénument Rollin sur le rapport de Tite-Live et de Tacite, telle que Jean-Jacques croyait l’avoir devinée à travers le Plutarque d’Amyot, Rome, mal comprise et mal sue, avait créé ce républicanisme de collège, qui de 1700 à 1800 ne cessa de gagner en violence et de perdre en pureté, et qui nous apparaît dans les discours des conventionnels tout à la fois enflammé jusqu’au délire et dégradé jusqu’à la platitude. L’ignorance à peu près complète de l’histoire de l’Europe, le dédain de l’histoire nationale, et, chose bien curieuse, la méconnaissance du rôle fécond de l’église catholique et de la papauté au moyen âge qui était assez répandue chez les meilleurs catholiques, et qu’on surprend plus d’une fois même dans les écrits d’un Bossuet, d’un Bourdaloue et d’un Massillon, avaient engendré cette philosophie politique bornée qui ne se représentait les monarques qu’à l’état de tyrans monstrueux, les prêtres à l’état de charlatans, serviteurs dévoués de la tyrannie, le moyen âge tout entier comme une masse noire sur l’horizon limpide de l’humanité. Tout cela réuni, ignorance de l’histoire moderne, vue fausse de l’histoire romaine et de l’histoire grecque, prépondérance outrée des études oratoires et métaphysiques, avait porté le goût des théories sociales à un paroxysme où le théo-