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Ainsi, au lieu d’excitation pernicieuse, il y aura leçon salutaire. Le professeur, après cette courte observation, pourra lire en classe quelques-uns des fragmens qui nous sont parvenus des deux Gracques, où tant de douceur et de noblesse s’allie à tant de flamme et de fougue, et rapprochant de ces débris éloquens qui restent encore aujourd’hui victorieux des plus superbes chefs-d’œuvre de l’art oratoire un autre discours en son genre incomparable, la harangue scélérate de Catilina aux conjurés, pétrie, elle aussi, des larmes de la misère et des grincemens de dents de l’opprimé, il saisira l’occasion de faire sentir à ceux qui l’écoutent quelles convoitises criminelles se peuvent parer de l’amour de la justice et de la haine de l’iniquité, et que même la passion du bien et la haine généreuse du mal veulent être réglées. Après avoir averti ses élèves de la sorte, qu’il leur lâche la bride ! Ils seront, s’ils veulent, démagogues pour un jour; ils écriront leur philippique à la gloire de l’égalité; ils adresseront aux riches les mêmes apostrophes que Catilina. Après tout, saint Jérôme les leur a bien adressées. « Numquid habitabitis vos soli in medio terrœ? N’y aura-t-il sur la terre de maisons habitables que pour vous? Les campagnes ne rapporteront-elles que pour vous? Ne fera-t-on la moisson et ne recueillera-t-on de fruits que pour vous?» D’inconvénient à l’expression de pareils sentimens, pour un jour et en cette forme, nous n’en voyons pas. On n’ôtera pas du milieu d’entre nous et, malgré les ravages qu’elle peut causer, il n’est pas souhaitable qu’on en ôte la passion de l’égalité. Quand cette passion se manifesterait avec un peu d’exubérance chez un jeune homme bien né, il n’y aurait pas sujet de s’en effrayer. Ce serait le cas de se rappeler la sage maxime de Cicéron : « Amo in adolescencia quod resecari possit ! J’aime dans la jeunesse quelque chose d’excessif que la vie et l’expérience puissent en émonder plus tard. »

Venons à un sujet plus moderne et qui transportera l’écolier dans la politique pure. Il s’agit cette fois de Richelieu. Nous chargeons nos élèves de rédiger les instructions que Richelieu adresse au marquis de Cœuvres, nommé ambassadeur du roi près les cantons suisses et commandant en chef des forces combinées de France, de Savoie, de Venise et des cantons dans la Valteline. L’année 1624 approche de sa fin; Richelieu est premier ministre seulement depuis le 12 août de cette même année. Il n’a encore attaqué directement nulle part la maison d’Autriche, ni branche allemande, ni branche espagnole; mais tandis que Ferdinand II, grâce aux victoires de Tilly et à la complaisance de la diète de Ratisbonne, ne rencontre plus de résistance en Allemagne, Richelieu lui a déjà cherché des ennemis par toute l’Europe; il a négocié le mariage de la fille de Henri IV avec le roi d’Angleterre, et il a promis des subsides aux Hollandais; il s’est engagé envers Mansfeld, qu’il a mandé à Com-