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jamais vu un père tuer volontiers ses enfans? Hélas ! hélas ! mes pauvres enfans, je ne serai plus un père, je serai un cruel meurtrier. — Les enfans se réveillèrent en sentant ses larmes tomber sur eux. Ils le regardèrent en souriant, et il leur dit : — Votre sourire tournera en larmes, car votre sang innocent sera bientôt répandu. — Cela dit, il coupa leurs têtes, les replaça sur le lit en les ajustant aux corps, les couvrit comme si les enfans dormaient, et lava son compagnon avec leur sang, en prononçant ces paroles : — Seigneur Dieu Jésus-Christ, qui commandes aux hommes de garder ta foi sur la terre, et qui as guéri le lépreux par un seul mot, daigne guérir aussi mon compagnon, pour lequel j’ai versé le sang de mes enfans.

Amis fut guéri, et ils rendirent grâce à Dieu en disant : — Béni soit Dieu, qui sauve ceux qui ont confiance en lui !

Amiles habilla son compagnon avec sa plus belle robe; ils allèrent tous deux à l’église, et comme ils entraient, les cloches se mirent à sonner d’elles-mêmes. Le peuple de la ville accourut pour savoir comment elles sonnaient ainsi miraculeusement.

L’heure de tierce était déjà passée, et le père et la mère ne s’étaient point rendus près des enfans; mais le père soupirait souvent, et la comtesse les demandait. Le comte lui dit : — Laissez-les dormir. — Il entra tout seul en leur chambre pour pleurer sur eux; mais il les trouva jouant sur leur lit. On voyait seulement sur leur cou:, à l’endroit où l’épée l’avait tranché, comme un petit fil rouge. Il les prit dans ses bras pour les porter à leur mère.

Peu de temps après le miracle de la résurrection des enfans et la guérison d’Amis, le pape Adrien envoya des messagers à Charlemagne pour implorer son secours contre Didier, roi des Lombards. Quoique l’empereur Charles eût une armée très nombreuse en Lombardie, Didier ne craignit point de marcher contre lui avec des troupes bien inférieures en force, car là où il avait un prêtre, Charles avait un évêque; là où il avait un chevalier, Charles avait un prince; là où il avait un homme de pied, Charles avait un duc ou un comte. On se battit trois jours; un grand nombre de guerriers furent tués ainsi qu’Amis et Amiles. La reine, saint Albin, évêque d’Angers, et plusieurs autres évêques et abbés conseillèrent à Charles de faire ensevelir avec honneur les braves tombés dans la bataille. Le conseil lui parut sage. Il fit bâtir, pour leur donner la sépulture, une église à Verceil, en l’honneur de saint Eusèbe; la reine en fit bâtir une autre en l’honneur du saint-père, et les restes, des deux compagnons furent placés dans des cercueils de pierre. Amiles fut porté à l’église de saint Eusèbe, Amis à l’église du saint-père, et le lendemain le cercueil d’Amis fut trouvé dans cette église; à côté du cer-