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— Tu sais bien, dit Renart, que personne ne peut dire la messe, s’il n’est prêtre, chapelain ou tout au moins tonsuré.

— Sire Renart, répond Primaut, vous avez beau dire, je ne m’en irai point d’ici que je n’aie chanté vêpres, vigile et messe; il ne s’agit que de savoir qui me tonsurera.

— Si je puis trouver un rasoir, dit Renart, la chose sera bientôt faite. Je te mettrai l’étole au cou sans le congé de l’évêque.

— C’est au mieux, dit Primaut.

Les voilà tous deux cherchant dans tous les coins, Primaut chantant à tue-tête et se heurtant à tous les piliers.

Renart, plus avisé, va regarder derrière l’autel Saint-Jacques; il y voit une armoire, il l’ouvre et en tire un rasoir bien affilé, des ciseaux et un bassin de cuivre, c’est-à-dire tout ce qu’il faut pour tonsurer.

— A la bonne heure! dit Primaut, rien ne m’empêchera plus de chanter la messe.

— Halte-là, mon bel ami, dit Renart, avant de chanter la messe, il faut la sonner. Sonne-la donc.

Primaut court aux cloches, il saisit les cordes et sonne à glas, à tremble et à carillon. Renart se tenait les côtes.

— Mon ami, tire les cordes; tire-les bien, tire-les toutes deux ensemble ! Quelles belles cloches ! quel beau son !

Celui qui aurait vu Primaut s’escrimer au jeu n’aurait pu s’empêcher de rire, même s’il eût appris que ses parens venaient d’être mis dans la bière. — Assez, dit Renart, tu n’en peux plus, repose-toi.

— Comme vous voudrez, répond Primaut, — et le voilà qui lâche les cordes et s’apprête pour la messe. Il met l’aube, l’aumusse, la ceinture, l’étole et le fanon; il endosse la chasuble, passe la main sur sa tonsure, monte à l’autel, ouvre le missel et se met à tourner les feuillets.

Renart en ce moment jugea qu’il était prudent de déguerpir; il repassa par le trou qu’il avait fait pour entrer, et, rejetant la terre qu’il en avait tirée, il ferma le passage, laissant dans l’église Primaut vêtu de ses habits ecclésiastiques, hurlant, brayant et chantant la messe. Les vilains, qui étaient accourus au bruit des cloches, entrent en foule dans l’église : Primaut est roué de coups de bâton; il s’échappe en sautant à travers une verrière et se met à courir dans la campagne en traînant sa chape et son surplis. Il retrouve Renart couché au pied d’un chêne et lui adresse de vifs reproches : celui-ci jure que c’est le curé qui a bouché le trou. — Puisqu’il en est ainsi, dit Primaut, je suis charmé d’avoir emporté sa chape et son surplis. Je vais aller les vendre, à la foire, et demain,