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cette question : le socialisme est-il ennemi de la révolution? Quelques jours après, ils étaient convoqués à venir entendre « la réfutation de la dernière calomnie dirigée contre le parti par le Courrier de Franconie. » L’affiche ajoutait : « Le rédacteur Stolz (l’auteur de la calomnie) est invité. Camarades, c’est affaire d’honneur à chacun de nous de répondre à l’appel ! » D’autres fois on se réunit, sans objet de discussion, pour assister à une fête fraternelle. On joue la comédie, on déclame quelque grand morceau de poésie socialiste, on fait de la musique et l’on danse. Cette coutume est accueillie avec faveur par les ouvriers. On sait combien est répandu en Allemagne l’usage que les gens de même condition se rencontrent dans des réunions périodiques. Les ouvriers ont maintenant les leurs, et le quatrième ordre y prend conscience de lui-même. Ce sentiment se montre de mille manières dans les journaux socialistes, dont les annonces sont curieuses à lire. L’ouvrier y insère toutes les nouvelles qui peuvent intéresser ses camarades : succès d’une grève, fondation d’une société coopérative, etc.; l’émigrant y annonce son départ pour l’Amérique en envoyant à tous ses amis des adieux fraternels, et l’on y trouve quelquefois des avis comme celui-ci, qui est tiré de l’État populaire : «Monsieur et madame... informent les frères et amis qu’il leur est né un petit démocrate socialiste. » Déjà le quatrième ordre a sa littérature particulière; il ne convient point qu’un membre de l’Internationale lise ou chante les lieder allemands, tout pleins de sentimentalités ou de superstitions patriotiques; on lui en a fabriqué qui soient à sa convenance, et les journaux annoncent des recueils de lieder du prolétariat. Ainsi les ouvriers tendent à former comme une société à part : ils mettent en commun leurs joies et leurs peines; ils acquièrent tous les jours une idée plus nette de leur force et le sentiment de leur solidarité; leur esprit s’habitue aux théories les plus étranges et n’a plus de révolte contre l’absurde; enfin l’orgueil pervertit leurs cœurs : que l’on interroge les patrons de toutes les industries, les grands propriétaires et les fermiers, tous se plaignent du changement survenu dans le caractère de l’ouvrier, et déclarent qu’il est devenu arrogant et intraitable.

Nul doute que le parti révolutionnaire ne puise aussi de nouvelles forces dans l’unification de l’Allemagne. La suppression des frontières a rapproché les intérêts communs et les passions semblables. Or dix partis socialistes, qui ont affaire à dix gouvernemens, sont moins redoutables qu’un seul qui n’a plus qu’un adversaire. Le but des efforts révolutionnaires semble rapproché; le vœu de Néron est accompli : il n’y a plus qu’une tête à couper. L’instinct de Lassalle ne s’y était pas trompé. Un de ses premiers écrits politiques est une brochure, publiée en 1859, où il adjure la Prusse de laisser l’Au-