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des facilités nouvelles de production régulière. Elle a servi peut-être à des dépenses militaires dont on s’est fait une nécessité par une politique de conquête reposant uniquement sur la force, et en définitive la conséquence la plus claire de cette invasion de richesse factice a été de favoriser le plus dangereux esprit de spéculation, l’agiotage, de pousser à la hausse du prix de toute chose, et par suite d’augmenter le malaise des classes populaires, de grossir ce flot d’émigrans réduits à quitter chaque jour l’opulente Allemagne, Le gouvernement de Berlin peut avoir son trésor militaire bien garni, le peuple allemand n’y a rien gagné, il n’a point été enrichi par nos dépouilles. Assurément ce n’est pas sans de sérieux efforts et sans s’appauvrir elle-même que la France a pu suffire à une rançon si démesurée, à tout ce que lui a coûté la guerre. Pour longtemps encore elle devra supporter de lourds impôts, elle le sait ; mais ces milliards dont elle s’appauvrit sans enrichir beaucoup ceux qui les reçoivent, elle les a puisés dans ce qui aide à payer les impôts et à renouveler les ressources momentanément diminuées, dans son épargne, dans son travail et dans son industrie. Ces sacrifices qu’elle s’est imposés sans y regarder, elle les a faits sous l’influence de la plus morale et la plus généreuse inspiration, pour reconquérir sa liberté. Elle a mis à régler ses comptes une exactitude dont les journaux d’outre-Rhin lui font aujourd’hui compliment avec la satisfaction un peu ébahie de créanciers qui en sont presque aux regrets de n’avoir pas demandé davantage, et la première récompense de son courage, de sa fidélité à tous les engagemens, même les plus onéreux, elle la trouve dans la sûreté de son crédit, dans ces conditions relativement régulières, quoique laborieuses, où elle reste. Voilà la vérité.

Que les Allemands, comblés de succès militaires et de milliards, célèbrent donc, comme ils l’ont fait l’autre jour, l’anniversaire de Sedan, en élevant à Berlin une colonne commémorative de leurs victoires : soit, ils sont dans leur rôle. La France n’a pour le moment à célébrer d’autre fête que celle de la libération de son territoire, de cette libération qu’elle a payée sans tomber dans une crise économique à laquelle bien d’autres n’auraient point échappé. Ce n’est pas une victoire des armes, non sans doute, c’est du moins le signe de ce qu’il y a toujours de vivace dans cette patrie française, et c’est en quelque sorte le commencement d’une période nouvelle où notre pays, n’ayant plus à compter avec l’étranger campé sur le sol national, retrouve la pleine indépendance de sa politique dans son existence intérieure comme dans ses relations avec le monde. On en dira ce qu’on voudra, un pays qui en trente mois sait triompher des fureurs de la guerre civile en même temps qu’il se dégage de l’étreinte d’une occupation étrangère, qui, au milieu de ces épreuves, garde assez d’énergie pour se remettre au travail, pour avoir un commerce d’exportation dépassant dans ces sept derniers mois le chiffre des années les plus productives, ce pays a de la