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Le général Kaufmann a naturellement dicté les conditions de la paix, une indemnité de guerre de 2 millions de roubles, l’entretien des troupes d’occupation aux frais du pays, une cession de quelques territoires de l’Amou-Daria, faite non pas directement à la Russie, qui seule en profitera, bien entendu, mais à l’émir de Bokhara, dont on a voulu récompenser les services pendant cette guerre. Le général Kaufmann, agissant dans un intérêt de civilisation et d’humanité, a de plus imposé l’affranchissement et le rapatriement des esclaves persans retenus dans le khanat, et même il a poussé l’amour du progrès jusqu’à exiger la suppression de la peine de mort, par où l’on voit que le souverain du petit état asiatique est devenu tout à coup un chef plus civilisé que la plupart des princes de l’Europe, Maintenant les Russes sont établis à Khiva, qu’ils occupent provisoirement, qu’ils occuperont sans doute tant que les circonstances l’exigeront, et le khan, replacé à la tête du pouvoir, semble vivre dans les meilleurs termes avec eux. Il échange des visites avec les chefs russes, et naturellement il ne fait rien que sous son bon plaisir. Le général Kaufmann est le vrai maître ; c’est lui qui a reconstitué une sorte de gouvernement, éloignant ceux qui ont excité ou qui pourraient exciter encore le khan contre la Russie, appelant au pouvoir les partisans de la paix, ceux dont on peut s’assurer plus ou moins l’alliance ou la soumission. Que les Russes aient eu la fantaisie de faire abolir la peine de mort dans Fétat de Khiva, ce n’est pas sans doute le progrès le plus sérieux qui restera de leur expédition » Ce qui peut avoir des conséquences plus pratiques et plus profitables pour eux d’abord, puis pour tout le monde, c’est le travail d’exploration et d’étude auquel ils se livrent depuis qu’ils sont établis dans le pays. Ils ont fait relever les plans de l’Amou-Daria, et il est certain qu’ils sont intéressés à s’assurer par ce fleuve un chemin vers l’Asie centrale. Ils songent avant tout à tirer parti de l’expédition hardie et difficile qu’ils ont exécutée.

Combien de temps encore durera l’occupation ? C’est là justement la question qui peut entretenir ou réveiller les susceptibilités et les défiances de l’Angleterre. Les prétextes peuvent ne pas manquer aux Russes pour prolonger leur séjour à Khiva. Quoiqu’ils soient désormais en mesure de faire face à toutes les difficultés, ils peuvent avoir des insurrections à réprimer, il y en a eu déjà, dit-on, il y en aura encore. Toutes ces peuplades guerrières et fanatiques qui s’agitent dans les steppes ne sont pas faciles à désarmer et à pacifier ; au moindre incident dans les explorations que les troupes russes accomplissent, l’occupation peut se prolonger. La campagne de Khiva est de celles dont on peut toujours dire qu’on sait bien de quelle façon elles commencent, on ne sait pas comment elles finissent. Si les Russes ont trouvé le poste bon à prendre, ils peuvent le trouver bon à garder, et c’est là ce qui fait de cette expédition un élément désormais essentiel de cette ques-