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descriptions, ces images devaient ressembler assez bien aux chefs-d’œuvre à vingt-cinq sols que les colporteurs répandent dans nos villages.

Sur des rayons ou dans des niches, on trouvait presque toujours un certain nombre de livres de piété, plus souvent manuscrits qu’imprimés, avec des reliures très riches, parfois incrustées de pierreries. De grands coffres à ferrures d’argent, tout semblables à ceux qu’on fabrique aujourd’hui pour les paysans, pouvaient servir de sièges et même de lits : les femmes y serraient précieusement leurs sarafanes brodés de perles, leurs parures de diamans, leurs robes de brocart glacé ou de drap d’or, leurs fourrures de Sibérie. Sur des dressoirs revêtus de velours, on entassait les grands plats d’argent ciselé, les aiguières d’or, les coupes et les hanaps de forme étrange, les samovars et les flacons, ornés de joyaux et qui figuraient tantôt une cathédrale, tantôt un cygne ou un éléphant. Dès 1594, l’ambassadeur d’Allemagne offrait à Feodor Ivanovitch une horloge de cuivre doré, où l’on voyait les planètes et le calendrier ; en 1597, l’empereur Rodolphe en envoyait une autre où de petits personnages munis de trompettes, de nacaires et de guimbardes, jouaient de leurs instrumens chaque fois que sonnait l’heure. Bientôt les aigles qui battent des ailes, les musiciens qui se démènent à midi, les nègres montés sur les éléphans, toutes ces merveilles mécaniques où s’est toujours complu l’ingéniosité allemande, figurent dans tous les inventaires des palais impériaux de ce temps. Qu’on ajoute à tout cela les mille et un objets dont s’amusait l’oisiveté des tsarines, les jouets d’enfans, les berceaux suspendus aux lambris, les escarpolettes aux cordes revêtues de satin où » les princesses russes, « belles d’indolence, » se balançaient au chant cadencé de leurs servantes, les lustres enrichis d’émaux byzantins, les tapis de Perse, les portières de velours de Hollande, et l’on aura une idée de cet « appartement supérieure du palais (terem ou verkh) où s’enfermaient les tsarines de Moscou. Nous allons voir comment elles y entraient.


II

Il n’était point facile à un prince ou à une princesse russe de faire un mariage assorti. Au XIe siècle, on avait vu un roi de France, Henri Ier, épouser une fille d’Yaroslaf ; mais depuis le schisme qui arma l’une contre l’autre les deux églises, depuis la conquête tatare qui sépare la Russie du mouvement européen pour la rejeter dans le monde asiatique, une barrière s’éleva entre les Occidentaux et les Slaves d’Orient. Aucune maison régnante de l’Europe catholique n’eût consenti, au prix d’une abjuration, à faire monter une