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de la garde nationale s’étaient réunis au nombre de trente-cinq, déclarant qu’ils n’accepteraient pas l’armistice, et se mettant en pleine insurrection. Ils avaient élu deux aventuriers, Brunel et Piazza, l’un commandant supérieur de la garde nationale, l’autre chef d’état-major. Les agitateurs, croyant trouver un appui dans la population, dans une partie de l’armée, surtout parmi les marins, se proposaient de marcher sur les forts de l’est commandés par l’amiral Saisset, qu’ils espéraient intéresser à leur cause et dont ils se figuraient pouvoir faire le chef du mouvement. Pendant la nuit du 27 au 28, on battait le rappel à Belleville, dans le faubourg du Temple, le tocsin sonnait dans plusieurs quartiers ; le rendez-vous était devant l’église Saint-Laurent. C’était beaucoup de bruit et rien de plus. On rassemblait à peine quelques centaines d’hommes qui se débandaient bientôt, et le lendemain matin le préfet de police faisait arrêter Brunel et Piazza à leur prétendu quartier-général, dans une maison du boulevard du Prince-Eugène, de sorte que cette tentative avait avorté complètement avant même que l’armistice devînt une irrévocable réalité.

Le mouvement avait échoué devant la résignation patriotique de la population, il n’avait aucune prise sur l’armée, sur ces rudes marins dont on essayait vainement de surprendre le courage, et par le fait la condition la plus dure de la capitulation, la reddition des forts, était exécutée dès le 29 avec une stricte et morne régularité. Assurément ces vaillans équipages avaient de la peine à se laisser arracher ces forts qu’ils défendaient au prix de leur sang depuis près de cinq mois ; ils ne restaient pas moins tous serrés autour de leurs chefs aussi désespérés qu’eux, faisant leur service jusqu’à la dernière heure et inspirant le plus sérieux respect à l’ennemi. Au moment où la garnison de Montrouge, obéissant à l’ordre du gouvernement, quittait le fort pour rentrer dans Paris, il y avait au bord de la route le général bavarois Hartmann à cheval, avec son escorte. Un marin, exaspéré, se précipitait vers lui en montrant le poing et en disant : « Ne riez pas au moins ! » Le général répondit : « Mon ami, nous n’avons nullement envie de rire de braves gens comme vous, qui ont si bien fait leur devoir. » Dernier et légitime hommage rendu par l’ennemi lui-même à ces obscurs héros de la défense demeurés jusqu’au bout des modèles d’intrépidité et de discipline ! Tout se passait du reste avec calme dans cette dernière journée du siège, qui aurait pu être une effroyable crise, et, la reddition une fois accomplie, on n’avait plus à songer qu’à la première de toutes les nécessités, au ravitaillement ; mais la question pour l’instant n’était pas seulement dans ce qui se passait à Paris, elle était encore plus peut-être dans ce qui allait se passer en province, à Bordeaux, où