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firent sentir dès l’origine ; Les formes judiciaires données à la discussion des affaires, la procédure introduite pour le règlement des choses les plus simples, entraînaient des lenteurs dispendieuses, favorisaient l’esprit de chicane et transformaient en procès ce qui n’était souvent qu’une simple démarche. Si le contribuable avait moins à redouter l’arbitraire ou la mauvaise foi de l’agent du pouvoir exécutif, il lui fallait triompher des préventions d’une juridiction qui, unie à l’administration même sur les actes de laquelle elle prononçait, se regardait, non sans raison, comme faisant avec elle, un même corps et en épousait quelque peu les prétentions, bien qu’elle n’en partageât pas tous les intérêts. Ces juridictions extraordinaires n’étaient pas comme nos tribunaux, qui appliquent une loi, des arrêtés, qu’ils n’ont pas faits ; avant la transformation qui s’opéra au XVIIe siècle, elles faisaient les règlemens dont elles surveillaient l’observation, dont elles punissaient les infracteurs, en sorte que les magistrats de ces tribunaux étaient parfois juges dans leur propre cause, comme cela se voit encore exceptionnellement dans notre système moderne, par exemple dans l’administration en matière de grande voirie. De plus, la justice entre les particuliers, qui est aujourd’hui par essence du ressort des tribunaux ordinaires, se confondait à tout instant avec la justice entre les particuliers et l’état, réservée dans notre législation actuelle seulement en certains cas à des tribunaux administratifs. Les intérêts des particuliers pouvaient être aisément sacrifiés dans ces juridictions inférieures qui représentaient encore plus l’administration financière que le droit en lui-même et dont les membres avaient souvent un intérêt personnel à prononcer des amendes. Restait toujours, il est vrai, la faculté de l’appel, le vrai remède pour relever les opprimés, ainsi que disaient dans leur langage énergique les députés aux états-généraux de Tours de 1483. On pouvait appeler des sentences de ces juridictions administratives réparties dans les provinces à une juridiction supérieure, droit qui n’empêchait pas en quelques circonstances l’exécution par provision ; mais cela entraînait des frais considérables, d’interminables délais. Trop souvent sous l’ancien régime, l’issue d’un procès était la fable de l’huître et des plaideurs, et ceux qui allaient chercher bien loin dans le sanctuaire de la justice les grâces de l’équité couraient risque de n’en revenir, comme les pèlerins revenaient de tant de pèlerinages, qu’avec des coquilles. Les lenteurs étaient aussi préjudiciables au service public qu’aux particuliers, alors qu’il y avait besoin de célérité. L’état souffrait donc lui-même de ce régime. Lui fallait-il un administrateur avisé et expéditif, il ne trouvait qu’un juge armé du texte des ordonnances et de vieux arrêts, visant moins à ce qu’on agît qu’à