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glisser subrepticement dans les livres les plus sévèrement épluchés : je n’en ai point trouvé. Je n’ose affirmer cependant qu’il n’en existe pas, car les écrivains sont en général les plus pitoyables correcteurs d’épreuves qu’il soit possible d’imaginer. Cela se conçoit, leur esprit va plus vite que leurs yeux ; au lieu de lire la lettre, ils lisent le mot et bien souvent la phrase. Un bon correcteur au contraire lit la lettre, tout en tenant compte du mot, au sens absolu et au sens relatif. Il doit en même temps, d’un seul coup d’œil, lire au point de vue particulier, au point de vue général, au point de vue de la correction grammaticale, au point de vue de la correction typographique ; expression vicieuse, construction insuffisante, lettre brisée, ponctuation omise, accord erroné, ne doit échapper à sa sagacité et à son attention. Les bons correcteurs sont rares, fort rares, et leur influence sur la formation de la langue, sur la détermination des règles admises, a été bien plus importante qu’on ne le soupçonne. L’ennemi qu’ils pourchassent sans cesse, et que le public appelle du nom générique de faute d’impression, est bien subtil ; il échappe souvent à toutes les recherches et frappe les regards dès que l’on ne peut plus l’atteindre. Des fautes d’impression ont eu parfois des résultats singulièrement graves, et une erreur de ce genre a compromis le salut des empires[1].

L’impression des gravures à l’eau-forte et celle des ornemens en taille-douce, qui ont nécessité un outillage spécial, a été faite dans les ateliers de M. Salmon. Dans le principe, chaque ornement avait été gravé sur une planche particulière que l’on n’avait plus qu’à appliquer à la place réservée de la feuille imprimée. On reconnut promptement l’inconvénient de ce procédé : le biseau de la plaque d’acier laissait sur le papier une trace ineffaçable qui compromettait la beauté du tirage. On détruisit ces planches partielles, et les ornemens d’une même page furent gravés sur une planche d’acier plus grande que le format du livre : de cette façon nulle empreinte parasite n’était à redouter ; mais on ne pourra jamais imaginer ce qu’il fallut de soins et d’inventions ingénieuses pour établir des points de repère certains qui, tout en tenant compte du retrait du papier, permettaient de retrouver toujours l’endroit précis où

  1. « A l’époque où Napoléon fondait de gigantesques projets sur son alliance avec l’empereur Alexandre, le Moniteur ou le Journal de l’empire publia dans ce sens un article où il était dit, en parlant de deux puissans monarques : « Ces deux souverains, dont l’union ne peut être qu’invincible. » Les trois dernières lettres du mot union ayant été enlevées pendant l’impression, il resta le mot un, et l’empereur de Russie lut avec indignation cette phrase du journal : « Ces deux souverains, dont l’un ne peut être qu’invincible. » L’erratum du numéro suivant lui parut une nouvelle injure. » Histoire de l’Imprimerie, par M. Paul Dupont, t. II, p, 395.