Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 107.djvu/688

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comparaison des forces morales qui s’y altèrent et qui s’y perdent.

On se plaint d’une augmentation dans le nombre des faillites, dans le développement excessif de l’agiotage, dans la quantité des abus de confiance, des vols qualifiés, des crimes causés par la cupidité, enfin des suicides ; Les comptes-rendus des tribunaux et les. autres moyens de renseignement donnent à connaître pour quelle proportion y entre la surexcitation des besoins factices, et plus on y regarde de près, plus on voit que cette proportion est considérable.

On gémit enfin sur la décadence de l’art. Il y a eu des temps et des pays où une noble prodigalité en faisait les frais, et marquait aux artistes le plus haut idéal en réservant ses faveurs aux plus grandes œuvres. Tombé de ces hauteurs, le luxe, qui continue à encourager certaines manifestations inférieures, si élégantes et séduisantes qu’elles soient, de l’art appliqué à l’industrie, est devenu le mauvais génie de l’art pur. Il l’a dirigé vers la spéculation mercantile. Il l’a contraint de n’avoir presque plus d’emploi lucratif que la décoration de ses salons et de ses boudoirs, l’ornement de ses salles à manger, par ces représentations réalistes qui, sous leurs formes les plus délicates, s’appellent des tableaux de genre, et sous les autres formes plus grossières se réduisent à être l’expression à peine idéalisée des sensations ou la reproduction servile de la nature. Certes on ne prétend pas que quiconque a du luxe agisse de cette façon à l’égard de l’art, et que l’art aujourd’hui ne soit autre chose que ce qu’on vient de dire. Il ne s’agit que d’indiquer une pente générale qui vient du peu de distinction de la plupart des enrichis, et de leur nombre trop grand pour qu’il y ait lieu d’espérer que leur goût soit celui d’une élite. On abusait de la noblesse autrefois dans les écoles de peinture ; on aimait mieux que l’idéal fût un peu faux que de s’en passer. C’était du moins la traduction des penchans élevés du goût public, qui semblait répéter à propos de certaines œuvres le mot de Louis XIV : « éloignez de moi ces magots ! » Aujourd’hui on a nié les genres pour avoir le droit de n’aimer que les inférieurs. On a couvert d’or les toiles qui répondaient à ces goûts, il faudrait dire à ces instincts dégradés. Le luxe paierait sans doute fort cher encore des tableaux des vrais maîtres d’autrefois, s’il pouvait les payer. Pourquoi ? parce que cela est beau ? non, mais parce que cela est rare, rarissime, comme certaines curiosités bibliographiques qui sont sans prix, et parce que cela serait du plus grand effet sur l’opinion.

Qu’on essaie par exemple de nier que l’idée du luxe n’ait joué en littérature un rôle sans précédent et qui, à vrai dire, remonte à plus de vingt années ! Que sont, je vous prie, tels personnages des