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passé, lui est supérieur de tout point, et les admirateurs des siècles écoulés, pour qui le passé apparaît comme une religion indiscutable dont les ténèbres ne cacheraient pour ainsi dire que des vertus ? Ceux-ci présentent la décadence de la famille, l’augmentation des adultères, la prédominance générale dans les unions de calculs intéressés, enfin l’irrégularité immorale des habitudes et des mœurs, comme des traits par lesquels la société actuelle se distinguerait à son grand désavantage du temps qui n’est plus. Il n’y a pas une seule de ces assertions qui ne soit contestable. On a pu soutenir au contraire, non sans vraisemblance, que la vie aujourd’hui est généralement plus rangée. Le mariage, qui, dans la réalité comme dans la littérature, ne paraît pas être traité avec grande révérence par nos bons aïeux, serait en définitive, malgré la part de désordres dont nulle société n’a été exempte, l’objet d’un respect plus général. Il est difficile de ne pas accorder que l’affection n’a jamais tenu autant de place dans la famille, et le fait s’accuse avec force, si l’on se rend compte de toutes les causes de froideur dans un si grand nombre des familles d’autrefois. Elles envoyaient l’enfant en nourrice, la fille au couvent, un des fils dans l’armée, un autre dans le clergé, tandis que le mari et la femme vivaient souvent dans des rapports voisins de l’indifférence. A Dieu ne plaise que nous fassions nous-mêmes ce que nous reprochons aux autres ! Sans doute ce ne fut pas là il s’en faut, tout le passé. Comment ne pas reconnaître pourtant que cette image ébauchée par nous est ressemblante à bien des égards ? Il y aurait d’autres vertus sur lesquelles nous ne serions pas plus disposés, au nom de notre temps, à confesser notre infériorité : telle serait la charité par exemple. Quand a-t-elle été plus répandue, plus agissante ? Tout cela même admis, faudrait-il en conclure que nous valons mieux que nos pères ? On ne se rend pas assez compte de tout ce qu’implique de délicat et de difficile à résoudre une question qui renferme des élémens si peu susceptibles d’une rigoureuse évaluation. Il restera toujours à se demander si nos vertus sont puisées à une source aussi haute, si dans la régularité des habitudes le calcul n’a pas la principale part, si le vrai, le bien, le beau pour eux-mêmes, nous transportent au même degré, si enfin, et sur ce point je quitterais la forme dubitative pour me résigner à un aveu dont je ne me dissimule pas la portée, si la distinction du bien et du mal n’a pas subi de déplorables éclipses, trop souvent niée systématiquement par le crime et foulée aux pieds par la passion, qui s’est fait une théorie de ses caprices les plus effrénés. La statistique ne dit pas tout. Elle omet les vertus à côté des délits et des crimes qu’elle signale ; elle passe sous silence les vices tant qu’ils ne tombent pas sous le code pénal ; et la meilleure partie de nous-mêmes,