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Parmi toutes les réformes qu’ont tentées les Anglais d’Amérique, il n’en est point qui ait mieux réussi que la séparation de l’église et de l’état. La mesure a satisfait les deux parties, elle a fait disparaître entièrement ces querelles religieuses qui sont la lèpre de la civilisation. Est-ce là un exemple qui doit être perdu pour nous ? Regardons ce qui se passe : quel spectacle offre la vieille Europe ? Partout sortent de terre ces haines de religion que nos pères se glorifiaient d’avoir à tout jamais ensevelies dans le passé. Parlerai-je de la Prusse et de ses persécutions contre les catholiques ? Est-il un abus de la force plus criant que celui dont l’Europe est témoin ? A-t-on jamais vu plus clairement ce qu’il y a au fond du libéralisme de Berlin ? Les victoires de 1870 tourneront contre la liberté allemande comme l’ont fait les victoires de 1815. A ne consulter que l’intérêt de la France, il est à désirer que M. le prince de Bismarck s’engage de plus en plus dans cette voie, où il se perdra comme tous ceux que la fortune aveugle, et qui ne comptent pas avec la conscience humaine.

Di meliora piis, erroremque hostibus illum !


Et la Suisse ? Quel chagrin pour les amis de cette brave république, quand ils voient Genève et Berne descendre à des persécutions misérables et oublier que ce qui fait la grandeur de l’Helvétie, ce n’est ni son territoire, ni sa puissance militaire, c’est une seule chose, son amour et son intelligence de la liberté ! Il y a eu, dit-on, des lois violées ou éludées par un évêque ; soit, est-ce une raison pour destituer de pauvres curés restés fidèles à leur chef, et pour les faire mourir de faim ? A quoi donc sert l’histoire, si elle n’enseigne pas à chaque page que toute persécution, quelle qu’elle soit, féroce ou mesquine, n’a jamais grandi que les victimes ? Avec la liberté, on émousse des prétentions plus ou moins vaines ; avec la force, on en arrive à ranger l’opinion du côté de ses adversaires, même quand ils ont tort. Si jamais il y a eu pour Genève une occasion de séparer l’église et l’état, et d’en finir avec les luttes confessionnelles, c’est aujourd’hui qu’elle se présente. Pourquoi n’en pas profiter ?

Que dire de la France ? Laissons sa vieille histoire, tout assombrie par les guerres religieuses du XVIe siècle, les disputes avec Rome, et les persécutions royales de Louis XIV, les querelles théologiques du règne de Louis XV : combien de fois depuis quatre-vingts ans n’avons-nous pas eu à regretter l’intervention de l’état dans les choses spirituelles, l’influence religieuse dans les affaires politiques ? La constitution civile du clergé a été une des grandes fautes de la