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incessante, de la moralité publique ou privée sur le développement de la vie des peuples, le mérite humain de ces grands phénomènes du travail, de la discipline, de l’obéissance aux lois, qui sont bien, quoi qu’on dise, des phénomènes libres, et par lesquels chacun de nous prend une part directe aux destinées de l’humanité.

Le principe étant posé, une autre question surgit aussitôt. Quelle est la loi de la série sociologique ? quelle est la série des phases sociales que parcourt l’humanité dans son évolution ? On nous dit que les générations successives dans les races les mieux douées font effort vers cette évolution, même à leur insu, qu’elles y vont comme l’enfance à la jeunesse, comme la jeunesse à la virilité. On nous dit qu’une même nécessité en est la cause, et, pour relever à nos yeux cette nécessité que nous subissons, on ajoute qu’il est beau de la concevoir, de la sentir, de s’y associer, et de prendre en main les rênes de ce coursier qui ne peut pas être arrêté. Mais enfin où nous mène-t-il, ce coursier ? par quelles étapes nous fait-il passer ? Ici une assez grave divergence d’idées s’est produite entre le maître et le disciple. Auguste Comte définit la série sociologique par les diverses conceptions de l’univers. Empruntant une vue ingénieuse et profonde de Turgot, mais la dénaturant par l’extension qu’il lui donne, il établit entre ces conceptions la distinction célèbre des trois états successifs, l’état théologique, l’état métaphysique, l’état positif. M. Littré critique cette loi. Elle est empirique, dit-il, en ce sens qu’elle est seulement l’expression abstraite du fait lui-même. Une loi empirique rend d’incontestables services : souvent elle est le dernier terme auquel on puisse atteindre ; mais, à cause de la défectuosité qui lui est inhérente, elle est une excitation continuelle à trouver la loi rationnelle qui y correspond, la loi qui non-seulement généralise le fait, mais d’une certaine manière l’explique en prouvant que le fait est tel qu’il doit être. Or M. Littré a pensé trouver cette loi rationnelle de l’histoire en la rapportant à la loi primordiale du développement individuel, à l’analyse mentale d’après la théorie de Gall. Il a été ainsi amené à noter quatre degrés successifs dans l’évolution humaine : le besoin, le sentiment affectif et moral, le sens et la culture du beau, la recherche scientifique de la liaison des effets et des causes. C’est l’histoire de chaque homme et c’est l’histoire de chaque groupe humain.

Suivez, nous dit-on, le mouvement d’une société qui se développe, vous voyez que ce qui fait la trame de son histoire, c’est d’abord la satisfaction des besoins et l’exploitation de l’utile, puis la religion et la morale, puis la culture esthétique et finalement la science[1]. Ainsi se succèdent les phases de la société humaine,

  1. Paroles de philosophie positive.