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de crin. Venu des Grecs ou des anciens Slaves, cet usage sert peut-être plus à la santé qu’à la propreté. Ce bain de vapeur, souvent suivi d’un bain de neige, ou d’eau glacée, est un stimulant énergique sous un climat débilitant ; c’est le seul, après l’alcool, que se puisse donner le mougik, et il remplace pour lui les eaux minérales, auxquelles pour les mêmes raisons les Russes des hautes classes recourent plus que tout autre peuple dans la belle saison. Ce bain hebdomadaire n’a qu’un inconvénient, c’est qu’une fois que le corps s’y est fait, il ne peut plus s’en passer.

L’opinion qui attribue plus de moralité aux peuples du nord n’est pas toujours plus fondée que celle qui leur reconnaît une plus grande propreté ; l’une et l’autre dépendent autant du degré de civilisation que du degré de latitude. En Russie, le climat est peu favorable, si ce n’est à la moralité, au moins à la délicatesse des mœurs. le grand nombre et la précocité des mariages diminuent les chiffres des enfans naturels, base du reste assez équivoque pour juger de la moralité ; mais il est à remarquer qu’en Russie, pour des causes diverses, le nombre des naissances illégitimes est beaucoup plus considérable dans le nord que dans le midi, bien que le premier soit plus dépourvu de villes[1]. La réclusion de l’hiver, les longues nuits, l’entassement de la famille dans la même pièce autour du même foyer, le sommeil en commun sur le dos du large poêle qui sert de lit à toute la maison, étaient peu favorables à la sainteté de la vie domestique. Il en résultait parfois des vices graves au temps encore récent où plusieurs ménages vivaient ensemble sous le toit du chef de famille ; de pareils dangers, joints à d’autres abus d’autorité, rendent désirable en Russie l’abolition de ces coutumes patriarcales. L’usage des bains en commun, alors même que les deux sexes étaient rigoureusement séparés et qu’il ne s’y passait aucune de ces scènes que d’anciens voyageurs leur ont reprochées, cet usage si salutaire a pu contribuer à développer chez le paysan une certaine grossièreté. Chez les deux sexes, la décence en Russie semble moindre qu’en Occident, la pudeur y est moins vive, et les hommes, si ce n’est les femmes, y sont moins embarrassés de leur nudité. Le voyageur en est frappé dans certains bains de mer, sur la Mer-Noire par exemple ; dans les rivières, près des villes du Don et du

  1. La moyenne dans les gouvernemens du nord est de 3,8 pour 100, dans ceux du centre de 2,3, ceux du sud de 1,9, ceux de l’est de 1,7, ceux de l’ouest de 1,3. Statistitcheski Vréménik de 1871, p. 215. Une des raisons qui augmentent la proportion des enfans naturels dans le nord est l’absence d’un grand nombre d’hommes qui vont chercher de l’ouvrage dans le-centre, en sorte que la population féminine excède de beaucoup la masculine. Le chiffre moyen des naissances illégitimes en Russie, 2,9 pour 100, est, en dehors de la Grèce, un des plus faibles de l’Europe. En France, il est de 7,6 pour 100, d’un peu moins en Angleterre, de notablement plus en Allemagne et en Autriche.