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d’irisation des rayons du soleil qui, ainsi que dans un prisme, y fait découvrir toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. C’est dans les forêts surtout qu’il faut chercher les beautés de l’hiver. Le givre y prête au bouleau ou au tremble une parure d’argent plus brillante et plus fine que leurs feuilles, tandis que sur le fond de neige blanche aux reflets bleus les sombres massifs de plus et de sapins, prenant des tons chauds et veloutés, semblent presque noirs. La nuit, ces paysages ont une grandeur solennelle. Au clair de lune, ces plaines froides et blanchâtres ressemblent dans leur pâleur aux limbes des poètes catholiques. Sur les arbres ou sur les monumens, la neige prend des reflets fantastiques et couronne les coupoles des églises de Pétersbourg et de Moscou d’une auréole mystérieuse. En l’absence de la lune, les étoiles scintillent avec cette vivacité que leur donnent les grandes gelées. Les nuits les plus obscures sont éclairées par la blanche réverbération de la neige ; il semble alors qu’au lieu de venir d’en haut la lumière parte de la terre. En hiver, la nuit est l’heure favorite des promenades et des parties de campagne ; à la sortie du théâtre ou du salon, les jeunes femmes, enveloppées de fourrures, montent dans la troïka, le traîneau à trois chevaux de front, et vont goûter aux îles ou aux environs de Pétersbourg le triple plaisir de la rapidité, du froid et de la nuit. Dans les rues des villes ou sur les routes, les traîneaux donnent lieu à une impression bizarre due à la simultanéité du mouvement et du silence. Dans les perspectives les plus fréquentées, où les chevaux, stimulés par le froid, galopent ou trottent de ce trot rapide qu’on ne rencontre qu’en Russie, les traîneaux et les voitures de toute sorte se pressent, se devancent sur ce tapis de neige qui éteint tout bruit, présentant à l’œil l’image la plus animée de la vie et laissant à l’oreille l’impression du repos. Les longues nuits d’hiver si fêtées dans les capitales ne sont pas sans plaisir pour les paysans. Eux aussi éprouvent le besoin de se réunir pour le travail ou pour la distraction, et imitent de loin la vie des villes. Les femmes et les jeunes filles se rassemblent dans la plus grande isba du village, parfois louée en commun à cet effet, et à la clarté des vacillantes loutchines, sorte de torches faites d’éclats de bois résineux, y tiennent leur posidelka, soirées rustiques d’un peuple que l’hiver même forme à la sociabilité. Après avoir filé en causant du lin ou de la laine, les jeunes filles, rejointes par leurs fiancés, se mettent à danser une de leurs danses lentes, qu’accompagne la balalaïka, ou à chanter quelques-uns de ces chants mêlés de chœurs chers au peuple russe.

Le printemps met fin à ces soirées villageoises en rendant au paysan la terre et les tapis de gazon, et en ramenant la khorovod en plein