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passé par cette enfance de l’art : le génie des Ioniens ne s’y attarda point, il grandit, s’épanouit rapidement ; les peuples du nord et de l’est de la péninsule subirent une sorte d’arrêt de développement et n’arrivèrent point à la maturité. Ils ne connurent point les jouissances supérieures que la belle forme humaine idéalisée donna aux races fines et sensuelles de l’Hellade. La splendide nudité du corps, la pureté des lignes, l’élégance exquise des proportions, la grâce et la simplicité des attitudes, la richesse et la magnificence des draperies, tout ce qui fut proprement l’art ionien n’exista point pour ces nations. Pas plus que leurs maîtres, les Assyriens, ils n’ont su détacher la statue du bas-relief, lui donner vie et mouvement. Comme les peuples enfans, ils ne sortirent point en art de la convention et ne virent guère que des symboles dans les sculptures de leurs rochers. De là un grand air de famille entre tous les monumens de cette nature qu’on voit encore dans les diverses régions de l’Asie-Mineure. Il me semble même qu’on peut sortir de la péninsule, et qu’à côté du bas-relief de Nymphi, près de Smyrne, de Ghiaour- Kalési, en Phrygie, de Boghaz-Keuï et d’Euïuk, en Cappadoce, du lion de Kalaha, aux portes d’Ancyre, le bas-relief de la porte des Lions, à Mycènes, ne doit pas plus être oublié que les marbres de la Lycie ; les statues de la voie sacrée du temple d’Apollon Didyméen, près de Milet, la figure du mont Sipyle, et le bas-relief, encore mal connu, découvert par Hamilton dans l’ancienne Isaurie.

Personne ne doute que les Lyciens qui, dès le XIVe siècle avant notre ère, paraissent avec les Dardaniens sur les monumens égyptiens, n’aient été un des peuples aryens de l’Asie-Mineure dont le développement fut singulièrement précoce, grâce aux influences sémitiques venues par l’intérieur des terres et des côtes, de la Syrie, de la Cilicie et de l’île de Rhodes. Leur culte d’Apollon, leur sentiment très vif de l’art, leur goût pour la vie civile et les mœurs faciles, qui de bonne heure les détournèrent de la piraterie, rendent très vraisemblable ce que les traditions rapportent de leur action civilisatrice sur le Péloponèse et des monumens qu’ils auraient construits dans l’Argolide. La civilisation de l’Argolide n’en fut pas moins l’œuvre surtout des colonies lydiennes ou phrygiennes qui, avec certains arts industriels, ont dû importer dans le Péloponèse les idées religieuses de l’empire assyrien. Lors de l’invasion des Doriens, ces rudes et naïfs montagnards s’arrêtèrent étonnés au pied des forteresses d’un autre âge, devant ces vieux burgs bâtis avec un appareil colossal, qui avaient abrité le faste et la puissance des Perséides et des Pélopides ; en leur ingénuité, ils virent dans ces murailles l’œuvre des cyclopes venus de Lycie. Ainsi les populations du moyen âge croyaient trouver dans toute ruine romaine un ouvrage des Sarrasins ou des démons. En Phrygie comme en