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noue avec le chaume ; ensuite il mange tout seul leur repas, et assiste en riant aux souffrances du cannibale, sur lequel tombe la grêle, et qui meurt de faim et de froid. Une autre fois il a été pris par les cannibales, et leur mère doit le faire cuire. Alors il persuade à l’ogresse de jouer avec lui « à se faire bouillir l’un l’autre. » La vieille dame accepte, car on doit commencer par Uhlakanyana ; mais il empêche l’eau de bouillir, et après être resté quelque temps dans la marmite, il insiste pour que la vieille s’y mette à son tour. Une fois dans le chaudron, elle n’en sort plus, car le jeune espiègle maintient le couvercle de toutes ses forces et la fait cuire à sa place. Cet exploit rappelle celui de Peggy, qui fait cuire l’ogresse dans son propre four, et toute la foule de ces contes d’enfans, où l’on voit la méchante sorcière tomber elle-même dans la fosse qu’elle a creusée pour quelque innocent.

Souvent ces contes ne sont évidemment que l’amplification d’un dicton populaire, d’une maxime morale, que suggère l’expérience de la vie et qui est vraie partout : dès lors les ressemblances qu’ils offrent ne prouvent pas nécessairement qu’il s’agit d’une imitation directe. Une de ces moralités qui a été le plus fréquemment amplifiée est assurément celle qui nous enseigne que les méchans se prennent dans leurs propres pièges.

La ruse la mieux ourdie
Peut nuire à son inventeur,
Et souvent la perfidie
Retourne sur son auteur.

Il n’en faut pas moins encourager les efforts de ceux qui s’attachent à recueillir les traditions orales ou écrites sous toutes leurs formes. En effet, la persistance avec laquelle reparaît chez les peuples les plus divers telle anecdote, telle métaphore, tel dicton ou même telle plaisanterie, rappelle l’étonnante ténacité des racines et des formes grammaticales, dont l’analogie manifeste trahit si souvent des rapports de parenté et de filiation entre les races. La science du langage et la mythologie comparée viennent ainsi au secours de l’ethnologie et de l’histoire. Les contes de nourrices, les proverbes, les paraboles, que l’on recueille et qu’on sauve de l’oubli, deviennent de précieux matériaux scientifiques : ce sont les détritus d’anciennes couches de pensées et de langage ensevelies dans le passé, comme ces sables bleus ou roses, mêlés de coquilles, qu’on ramasse sur une plage, sont les débris de terrains fossiles, qui peuvent éclairer le géologue sur quelque épisode des révolutions du globe.


R. RADAU.

C. BULOZ.