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I

Un des argumens nouveaux que font valoir avec un soin tout particulier les derniers défenseurs du double étalon est tiré du paiement de l’indemnité prussienne. On dit que, si nous n’avions pas eu à notre disposition les deux métaux précieux servant de monnaie, et principalement l’argent, nous aurions éprouvé des embarras considérables pour le paiement de cette indemnité, et qu’on n’aurait pu l’accomplir aussi vite qu’on l’a fait. Cet argument, à première vue, a quelque chose de plausible. Il semble en effet qu’avec deux métaux on a plus de ressources qu’avec un, et, si cette thèse est soutenue par des personnes ayant une certaine autorité financière, elle passe bien vite pour un axiome. Cependant, quand on y regarde de près, on ne tarde pas à s’apercevoir qu’elle ne repose sur rien de sérieux. Voilà l’Angleterre par exemple qui, pour les trois quarts de son commerce extérieur, est en rapport avec des pays qui n’ont que la monnaie d’argent, tels que l’Inde, la Chine, les républiques de l’Amérique du Sud ; comment fait-elle pour opérer ses règlemens et envoyer des espèces lorsqu’elle est débitrice ? Elle n’a que l’étalon d’or, et l’argent n’existe chez elle qu’à l’état de monnaie, d’appoint ; cependant on n’a jamais vu qu’elle fût embarrassée pour ses paiemens, et qu’elle ne pût pas trouver l’argent dont elle avait besoin, quand elle avait des soldes à faire dans les contrées qui ne connaissent que ce métal. Elle possède l’argent, comme toute autre marchandise, comme tout ce qui peut servir aux transactions, et ce qu’elle n’emploie pas pour son usage particulier, elle le réserve pour l’exportation. L’argent est chez elle au même titre que le tabac, le thé, le sucre, le vin, qu’elle importe pour des quantités plus considérables que celles qu’elle consomme ; le reste est en entrepôt en attendant qu’il trouve sa place au dehors. Venir dire que, si la France n’avait pas eu l’argent comme étalon monétaire, elle n’aurait pu s’en servir pour payer les Allemands, en supposant qu’elle y eût eu avantage, c’est absolument comme si on prétendait qu’un pays riche qui est en mesure de se procurer toutes les marchandises dont il a besoin et qu’il n’a pas chez lui n’aurait pu obtenir particulièrement celle dite argent. En vérité, la réfutation est trop facile et trop claire pour que nous insistions. Tout le monde sait, les hommes de finance au moins, que la plus grosse partie de l’argent circule déjà sous forme de lingots sans être monnayée ; c’est ainsi qu’on l’emploie notamment en Angleterre et aux États-Unis, dans les deux pays les plus commerçans du monde entier.

Mais l’argument se présente encore sous une autre forme. Si