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eût été plus actif, si elles avaient eu la monnaie métallique. Avoir un instrument d’échange déprécié par rapport aux autres pays, qu’il soit en papier ou en argent, c’est se mettre d’abord dans de grands embarras à l’intérieur et se constituer ensuite vis-à-vis du dehors dans une situation commerciale inférieure. Cela vaut la peine d’y penser.

Il y a en France aujourd’hui un stock métallique de 5 à 6 milliards, dont 4 peut-être sont en or. Si nous gardons le double étalon, l’or va disparaître par suite de la prime dont il jouit. Il est vrai que ceux qui le détiennent réaliseront cette prime, et que la perte ne sera pas immédiate ; mais que deviendra le métal par lequel on l’aura remplacé ? jusqu’où pourra s’étendre dans l’avenir, et peut-être dans un avenir rapproché, la dépréciation dont il sera l’objet ? Supposez que dans trois ou quatre ans, quand l’Allemagne aura démonétisé les 500 ou 600 millions de thalers d’argent qu’elle possède, la dépréciation de ce métal fasse de nouveaux progrès et arrive de 2 où 3 pour 100, où elle est aujourd’hui, à 5 et 6 pour 100. Sur 4 milliards d’or remplacés par de l’argent, c’est une perte sèche, à 3 pour 100 de différence, de 120 millions. La valeur du capital monétaire du pays sera diminuée d’autant, et cela pourquoi ? Pour avoir laissé prédominer dans la circulation un métal incommode, lourd, qui n’est plus en rapport avec les besoins de la civilisation. En vérité, on ne s’explique pas la résistance de ceux qui défendent encore le double étalon.

Mais, dira-t-on, — car nous ne voulons laisser passer aucune objection, — si vous prenez l’étalon unique d’or après avoir eu les deux, vous changez la situation du débiteur, il n’a plus le choix du métal à donner en paiement, et si l’or, resté seul, renchérit, vous aggravez ses charges. Cette objection n’est pas très sérieuse. La question de la monnaie a toujours été dans le domaine du législateur ; c’est à lui qu’il appartient de décider celle qui convient le mieux. Les métaux précieux ne circulent comme instrumens d’échange qu’avec l’empreinte et sous la garantie de l’état ; par conséquent celui-ci a le droit d’y mettre des conditions, et s’il y a des intérêts particuliers qui en souffrent, tant pis : c’est le résultat ordinaire du progrès. Les chemins de fer ont fait tort aux maîtres de poste, qui, eux aussi, avaient des droits acquis ; ils ont tué les diligences et mis en péril d’autres services de transport ; cela n’a pas empêché de les établir. Il faut bien que le progrès s’accomplisse, et il serait assez singulier qu’on fût arrêté devant l’adoption de l’or comme étalon unique par cette considération qu’il y a des débiteurs aujourd’hui qui ont le choix de payer avec l’un ou l’autre des deux métaux précieux, et qu’ils ne l’auront plus après. Cette raison n’a pas arrêté l’Allemagne ; elle n’a pas arrêté davantage la Hollande,