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progrès quand elle s’immobilise dans la routine, où l’individu humain se reconnaît lui-même dans la plénitude de sa conscience et de son droit. C’est l’âge enfin où il constate la nécessité de se protéger, non plus seulement contre la violence venue du dehors, mais contre l’autorité exagérée du pouvoir tutélaire chargé de le défendre dans l’origine. Pendant ces siècles de lutte extérieure et de silence intérieur, l’état a grandi d’une façon immodérée. Il a centralisé dans sa main tous les intérêts, absorbé dans son droit unique tous les droits. Maintenant que la sécurité extérieure est assurée, il faut pourvoir à cette autre sécurité qui est la liberté du citoyen. Plusieurs civilisations n’ont pu s’élever jusque-là ; elles se sont arrêtées dans l’empirisme et la servitude. — Dans les deux cas, on le voit, c’est la recherche des garanties qui a créé partout les institutions politiques, à l’origine contre les périls de la conquête, plus tard contre les tentations du despotisme.

Ce grand problème, qui était celui des sociétés naissantes, est encore celui des sociétés modernes qui s’approchent de plus en plus de la solution définitive, théoriquement au moins. Les innombrables discussions des publicistes, les livres des philosophes, les grandes expériences des politiques et des hommes d’état permettent à la raison générale de mieux définir les termes du problème et de mesurer la part de progrès dans la transformation des institutions. Ne peut-on pas dire en effet qu’à peu d’exceptions près on est d’accord sur le but de l’organisation politique ? Le but n’est-il pas que chaque homme possède en sécurité les biens auxquels il a droit, sa conscience, son foyer, son travail, les résultats de son travail, et n’est-ce pas précisément l’objet de la société civile et politique de lui garantir ces biens inaliénables, inhérens à sa qualité d’homme et dont la jouissance constitue l’exercice de son droit ? Or comment l’état lui garantirait-il tout cela, si l’état se résume dans une volonté indiscutable et non contrôlée ? De là naissent les droits politiques, qui ne sont pas autre chose que le droit des citoyens de participer soit à la création des pouvoirs publics, comme dans les républiques, soit au contrôle de ces pouvoirs, comme dans les monarchies tempérées. On dispute, on disputera longtemps encore sur la mesure de ces droits, sur la manière dont ils doivent s’exercer, sur la réciprocité des garanties entre le citoyen et l’état ; mais l’objet est désormais fixé par la science politique, si l’on se divise encore sur la meilleure manière de le réaliser. L’ordre social est l’ensemble des droits et des garanties constituant une société organisée. Le progrès social est l’accès du plus grand nombre possible au partage de ces droits, et en même temps à la jouissance des biens qu’ils sont destinés à garantir, le bien-être, la science, le travail, la propriété.