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Il n’est pas douteux que c’est dans cette direction que s’élèvent les sociétés modernes, d’un pas inégal sans doute, à travers des voies ténébreuses, non sans arrêts parfois et sans retours apparens, mais d’un essor toujours prêt à reprendre la marche en avant quand la circonstance hostile a été vaincue et l’obstacle franchi. L’industrie, le commerce, l’agriculture, la science, toutes les manifestations de l’activité humaine, devenues libres et assurées par des lois, un ensemble d’institutions consolidant la propriété, améliorant les conditions du travail, multipliant les sources du bien-être, ouvrant le libre accès à la direction et au contrôle des affaires du pays, n’excluant personne du droit de veiller à ses destinées, éveillant en chacun le sentiment énergique et fier de la responsabilité personnelle, inspirant à tous la confiance et la sécurité du lendemain, n’est-ce pas le programme accepté par la raison moderne, poursuivi par elle à travers des résistances aveugles et bien des contradictions apparentes nées de détestables passions ? Ainsi l’on voit se réaliser dans ce grand fait historique l’alliance prévue, nécessaire, entre toutes les formes du progrès social, le progrès scientifique et industriel essentiellement lié à celui des institutions et au développement rationnel de l’organisation politique.

A ceux qui s’obstineraient à contester la marche parallèle de ces divers élémens ou à nier qu’elle soit vérifiable, nous pourrions opposer, en le complétant, l’exact tableau tracé par M. Bagehot des avantages toujours croissans qui assurent la supériorité de l’homme moderne, de l’Européen, sur les autres habitans du globe. Ce sera en même temps le thermomètre le plus précis du progrès. Prenons pour exemple, sur un point microscopique du globe, un village de colons anglais, et comparons-le à une tribu d’indigènes australiens qui errent autour d’eux. Premièrement les Anglais ont un bien plus grand empire sur les forces de la nature. Vingt Anglais produiront dans le monde matériel un changement incomparablement plus grand que mille Australiens. Secondement ce pouvoir n’est pas uniquement extérieur, il est intérieur ; les Anglais ne possèdent pas seulement de meilleures machines, ils sont eux-mêmes de meilleures machines. Un grand avantage de la mécanique est non pas d’augmenter la force de l’homme, mais de l’emmagasiner et de la régler. Troisièmement l’homme civilisé n’exerce pas seulement sur la nature un pouvoir plus étendu ; il sait aussi s’en servir mieux ; il en tire un meilleur parti pour la santé et le bien-être de son corps et en même temps de son esprit. Il peut économiser pour sa vieillesse, ce qui est impossible à un sauvage dépourvu de moyens durables de subsister ; il est disposé à le faire, parce qu’il prévoit distinctement l’avenir, ce qui est impossible à la