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pensée flottante du sauvage. Quatrièmement il se sent libre, fils d’une noble race, laborieuse et vaillante, citoyen d’un grand pays qui lui doit la sécurité pour ses biens avec, la garantie de ses droits, et lui en assure la jouissance au dehors par ses armes, au dedans par ses institutions.

Ainsi accroissement régulier, continu de la vie, sinon dans sa durée, au moins dans son intensité, multiplication des forces, des lumières, du bien-être, amélioration des institutions politiques et des relations sociales, idéal de plus en plus élevé, de mieux en mieux réalisé de la justice, sauf les perturbations accidentelles dont nous aurons à étudier les causes, voilà bien, à ce qu’il semble, les élémens indiscutables du progrès social, en dehors des théories et des sectes intéressées à nier la lumière. Ce n’est pas à dire pourtant que tout soit gain dans ces transformations du monde moderne, et qu’il n’y ait pas plus d’un point noir à l’horizon. Il faut tenir compte assurément de ces faits négatifs et marquer avec soin leur place dans la statistique comparée des gains et des pertes. La liberté politique par exemple se produit souvent au milieu de tempêtes si fortes qu’une nation peut y périr. M. Bagehot, qui marque l’ère de la discussion comme l’âge de virilité d’un peuple, en-deçà duquel un peuple reste éternellement un vieil enfant, reconnaît lui-même que c’est là une crise organique dans laquelle les tempéramens faibles succombent. Aussitôt que la discussion commence dans un pays longtemps habitué au joug de la coutume, les tendances sauvages des hommes se déchaînent. Même dans les communautés modernes, où ces tendances ont été affaiblies par des siècles de culture, aussitôt qu’une question vitale est soumise à la discussion, ne voit-on pas éclater les passions les plus âpres et les plus violentes ? Alors apparaît dans les peuples ce phénomène que les physiologistes appellent l’atavisme, un retour partiel des hommes à la nature instable de leurs ancêtres barbares. On a pu dire des scènes de cruauté et d’horreur, comme celles qui se produisirent dans la révolution française ou dans toute grande émeute, qu’elles mettent en lumière un côté secret et caché de la nature humaine. Ce sont vraiment là les explosions des passions héréditaires qui ont été longtemps réprimées par des coutumes fixes, mais qui reparaissent au jour quand une catastrophe brise ce frein. L’idéal de la justice et du droit, — l’honneur et le juste orgueil de l’homme moderne, — s’éclipse et se voile sous un nuage de sang. Dans le civilisé, le barbare reparaît soudain, D’autres fois, dans l’emportement de sa personnalité mal comprise et mal réglée, le citoyen, sous prétexte qu’il est libre, en vient à opprimer la liberté d’autrui et à supprimer la fonction de l’état. La chimère d’une fausse égalité l’enivre, il perd le sens du