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jusqu’à la période actuelle, qui nous montre comme un travail de rapprochement entre les deux branches.


II

Commençons notre histoire avec le siècle ; Voltaire à ce moment s’absente, prend congé, l’esprit de négation entre en vacances et dit « à revoir » aux spectateurs, car il sait bien qu’il reviendra plus tard, lorsque le mouvement qui s’engage aura provoqué à son tour la réaction. Le XVIIIe siècle n’a rien compris au moyen âge, qui ne fut jamais à ses yeux qu’une période barbare ; le moyen âge est partout mis en crédit, et ce n’est point seulement la poésie que charme ce retour vers le passé, les choses de la vie politique et sociale en subissent aussi l’influence. En religion, en politique, c’est l’esprit du passé qui domine, c’est au moyen âge qu’on remonte, à sa chevalerie, à son mysticisme. L’année même où Napoléon signe le concordat paraît le Génie du christianisme, un de ces livres qui prennent le vent d’une époque et dont c’est l’heureuse destinée de naître couleur du temps comme l’oiseau bleu. Un succès immense les accueille et les recommande à la postérité, laquelle se fie à la mode d’antan et la croit sur parole plutôt que d’y aller voir. Un titre si grand ! et derrière ce titre une discussion si mesquine ! Que penserait aujourd’hui l’orthodoxie, que dirait l’exégèse moderne d’une théorie du christianisme uniquement préoccupée de faire prévaloir le côté mythologique, et de nous démontrer que nos idées religieuses peuvent se mettre en opéras et en ballets tout aussi bien que les plus fameuses inventions du paganisme ? Quant à l’esthétique, elle est appropriée aux besoins de la cause et mérite les mêmes égards que l’interprétation théologique. Tasse y prend son rang au-dessus d’Homère, et le vertueux Bernardin s’assoit sur Théocrite ; mais n’allons pas trop loin, car le Génie du christianisme contient René.

Ici, j’ouvre une parenthèse et remonte à l’une de mes deux sources, à Rousseau. Il va de soi que la Nouvelle Héloïse n’a pas été créée sans précédent, — on est toujours plus ou moins l’enfant de quelqu’un ; — mais ni Manon Lescaut, ni Clarisse, que pour ma part le place fort au-dessus du roman de Jean-Jacques, n’ont agité, secoué, enfiévré le monde à l’égal de la Nouvelle Héloïse. C’est toute une commotion qui s’étend au dehors, gagne l’Europe, et dont le contre-coup nous revient ensuite. La France envoie la Nouvelle Héloïse à l’Allemagne, qui lui renvoie Werther, et d’elle en retour reçoit René. L’auteur de l’ouvrage que nous parcourons se demande : « Qu’y a-t-il de nouveau dans l’Héloïse ? » A cela peut-être ne