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Parisiens son ministre des affaires étrangères, M. de Rémusat, qui vient de coopérer à la libération du territoire. Certes, s’il y eut jamais une occasion de ne pas disputer une victoire de scrutin à un gouvernement, c’est celle-là Les radicaux sont bien prévenus qu’ils n’ont rien de mieux à faire que de s’abstenir, que par le succès de leur candidat ils vont porter le coup le plus meurtrier à la république ; c’était évident comme la lumière. N’importe, les radicaux veulent triompher, ils ne résistent pas à la tentation de faire défiler leur armée ; ceux qui sentent qu’ils vont commettre une faute suivent les têtes folles du parti, et M. Barodet est nommé de préférence à M. de Rémusat ! M. Ranc, à son tour, est nommé à Lyon ! Pour le coup, les radicaux. avaient triomphé, ils avaient ce qu’ils voulaient, et leur victoire était une défaite cruelle pour la seule république possible, la république modérée et conservatrice. Ce qui était bien facile à prévoir ne manquait pas d’arriver aussitôt. Le résultat des élections de Paris, de Lyon, de Marseille, était d’alarmer, de surexciter les instincts conservateurs, surtout dans l’assemblée, en même temps qu’il affaiblissait M. Thiers dans les luttes qu’il pouvait avoir à soutenir. Quelques jours après, les radicaux obtenaient leur dernier triomphe, ils avaient préparé la chute de M. Thiers, qui n’était que la conséquence de cette triste échauffourée électorale.

Ce n’était qu’un prétexte, a-t-on dit depuis et dit-on même encore aujourd’hui ; M. Thiers n’aurait pas pu résister aux hostilités dont il était menacé, et, s’il donnait sa démission, c’est qu’il ne pouvait faire autrement. On croit beaucoup trop aux partis-pris d’hostilité dans une masse parlementaire ; assurément la situation eût été bien autre, si M. Thiers avait pu se présenter devant l’assemblée avec le cortège d’un vote parisien favorable au gouvernement ; il ne se serait pas trouvé dans cette difficile position d’un pouvoir vaincu par le scrutin, placé entre ses ennemis intérieurs de l’assemblée et ses ennemis du dehors, qui venaient de lui infliger un mécompte presque personnel. L’élection de Paris était indubitablement une complication assez grave. M. Thiers cependant ne commettait-il pas, lui aussi, une faute en paraissant se méprendre sur le caractère de ce scrutin saugrenu, en allant d’un autre côté au-devant d’une défaite parlementaire qu’il aurait pu facilement éviter ? Qu’avait-il à faire pour sauvegarder et maintenir son ascendant ? Peu de chose probablement ; il n’avait qu’à rassurer les alarmes sincères, à désintéresser les sentimens conservateurs émus des hardiesses croissantes du radicalisme, à rester d’intelligence avec les fractions modérées de la majorité. C’était le rôle naturel d’un homme prudent et habile comme l’ancien président de la république. M. Thiers pouvait, sinon désarmer tous ses adversaires, dont quelques-uns étaient implacables, du moins enlever tout prétexte à une opposition conservatrice systématique, et rallier une armée suffisante pour continuer à gouverner. Il n’avait pas à