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réserve de transactions qui n’auraient de valeur que si elles étaient sanctionnées par le pouvoir législatif. Sur les garanties constitutionnelles, il n’y avait plus rien à obtenir, tout était acquis, tout était concédé ou reconnu. On se hâtait de rédiger le procès-verbal des paroles rapportées de Salzbourg et de l’adhésion chaleureuse de toutes les fractions de la droite ou du centre droit, plus que jamais unies dans le projet de restaurer la monarchie « nationale et constitutionnelle. » Il ne restait plus qu’à libeller le « bill des droits, » qu’on proposerait au vote de l’assemblée, et à la sanction du nouveau souverain « appelé » au trône. Il n’y avait plus ni charte octroyée ni charte subie, il y avait un contrat librement débattu, librement accepté.

Tout semblait marcher au mieux, et déjà on gourmandait ceux qui ne se hâtaient pas de se rallier à la restauration, désormais certaine, ceux qui ne voyaient pas dans le protocole du centre droit le symbole de l’avenir constitutionnel de la France. Oui, mais voici une petite difficulté : il se produisait bientôt un autre procès-verbal qui ne disait pas tout à fait les mêmes choses ou qui du moins atténuait le caractère et la portée des paroles de M. Chesnelong, qui définissait la situation d’une manière différente, qui soufflait sur les illusions du centre droit, — si bien qu’au bout de peu de jours on ne savait plus à quoi s’en tenir, on retombait dans toutes les ambiguïtés, et, après avoir envoyé M. Chesnelong pour s’éclairer, on éprouvait le besoin d’avoir un peu de lumière sur la mission même de M. Chesnelong. Qu’avait dit réellement M. le comte de Chambord ? Comment s’était exprimé le plénipotentiaire revenu de Salzbourg ? On n’était pas plus avancé, et les commentaires en se multipliant ne faisaient qu’épaissir les ténèbres.

Au fond, si on restait encore dans l’incertitude, c’est qu’on le voulait bien, c’est qu’on aimait à se faire illusion. À travers toutes les déclarations et les paroles de M. Chesnelong traduites dans des procès-verbaux différens, une chose apparaissait distinctement : on ne s’entendait pas, on ne s’était jamais entendu, on travaillait à une même œuvre avec des idées inconciliables. Assurément M. le comte de Chambord avait pu dire sans se compromettre qu’il comprenait le respect et l’attachement de l’armée française pour un drapeau teint de son sang ; mais cela ne signifiait pas qu’il fût disposé à saluer ce drapeau, ni qu’il cessât de vouloir abriter sous son drapeau à lui, sous le drapeau blanc, la monarchie restaurée. On ne s’entendait même pas sur le genre de transaction que le prince se proposait d’offrir au pays, ni sur la manière dont il prétendait réaliser cette transaction. Que M. le comte de Chambord n’ait fait au premier, abord aucune difficulté au sujet des libertés civiles et religieuses, de l’égalité des citoyens, de l’admissibilité de tous les Français aux emplois civils ou militaires, et que M. Chesnelong ait pu dire assez naïvement que sur ce point il avait enfoncé une porte ouverte, c’est