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l’adjonction des Baléares, des Canaries, de Cuba, et de Puerto-Rico, le territoire de la république espagnole en dix-sept provinces autonomes ; mais après de longues conférences ils avaient stipulé que ces états seraient libres de se subdiviser comme ils l’entendraient. C’était déclarer son incompétence et, comme on l’a dit, renvoyer le paquet de Caïphe à Pilate. C’était dire aussi : Se piquer de résoudre cet insoluble problème, c’est décréter la guerre civile, et nous en laissons à d’autres la responsabilité !

De tous les embarras et de tous les dangers suscités par le fédéralisme, le plus grave était l’effroyable confusion de langues et d’idées qu’il déchaîna sur l’Espagne. Ce pavillon recouvrait toute espèce de marchandises, depuis les ballots les plus inoffensifs jusqu’à des munitions de guerre et des tonneaux de pétrole. Les uns entendaient par république fédérale la décentralisation administrative, d’autres des institutions pareilles à celles des États-Unis ; d’autres enfin, ravis d’abriter leurs projets sous un mot qui sonnait bien aux oreilles espagnoles, visaient à l’anéantissement de toute autorité, à l’ouverture prochaine de la grande liquidation sociale. Le socialisme a depuis longtemps perdu l’espoir de convertir les gouvernemens et de faire prévaloir ses doctrines dans les pays fortement constitués. Aussi, par l’organe de l’Internationale, qui a fait ses preuves à Paris, le voit-on, sous couleur de patronner les libertés municipales, prêcher la souveraineté absolue des communes, c’est-à-dire l’organisation de l’anarchie et le renversement de l’état. Les socialistes de Barcelone se souciaient peu de partager l’Espagne en quarante-neuf morceaux ; ils se promettaient de lui donner dix mille municipes indépendans, ne recevant de lois que d’eux-mêmes. Ils auraient supprimé ainsi l’armée et la garde civile, ces deux grands remoras où s’achoppent leurs plans ; du même coup, avec le soldat et le gendarme ils eussent aboli l’idée même de patrie, superstition surannée qui révolte ces cosmopolites de l’appétit. Cependant ils n’avaient garde d’avouer leurs projets en prenant le nom de communards ; ils se donnaient pour de bons fédéralistes, et à la faveur de ce masque ils trompaient les âmes simples et crédules. On prétend même qu’un voleur, arrêté par deux agens dans une des rues de Madrid comme il venait de dévaliser une boutique d’orfèvre, s’écria indigné : « Qui vous donne le droit de m’arrêter ? ne sommes-nous pas en république fédérale ? » Il est possible que son indignation fût sincère, car il est des coquins de bonne foi. Celui-ci se croyait déjà maître de son utopie et de ses amours, et il est triste pour un amoureux d’être réveillé de ses songes par l’accolade un peu brusque, d’un sergent de ville.

Jamais on ne put mieux constater la puissance magique d’une