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idée confuse. Le plus vague des arts, la musique, n’est-il pas le plus propre à exalter les âmes ? Des millions d’Espagnols se signaient dévotieusement en prononçant le mot sacré de fédéralisme ; on eût dit un abracadabra qui devait guérir tous les maux, inaugurer sur la terre le règne de la vertu et du bonheur. Sur cent dévots, il n’en était pas dix pour qui la formule eût un sens ; sur les dix, il n’en était pas deux qui eussent la même façon de l’entendre. Elle n’en plaisait que davantage. Un républicain à qui son ennemi refusait le titre de fédéral s’en offensait comme d’une mortelle injure. On s’abordait dans les rues en se disant : Salud y republica federal. Le fédéralisme était le secret de tout, particulièrement le secret d’obtenir des places.

Les hommes intelligens du gouvernement n’étaient pas sans s’inquiéter des ravages de l’épidémie. Ils savaient que le quart d’heure de Rabelais des révolutions est le moment où les révolutionnaires sont mis en demeure d’expliquer et d’appliquer la devise qui leur a servi à enflammer les imaginations. Ils s’efforçaient de reculer cet instant critique. En vain les sommait-on de définir ou de renier le fédéralisme ; ils ne s’ouvraient de leur définition à personne, sachant bien qu’elle ferait beaucoup de mécontens et beaucoup moins d’heureux. Ils ne pouvaient non plus se résoudre, comme on le leur conseillait, à tout sauver par une glorieuse apostasie, qui n’eût pas été sincère. Le cantonalisme militant, incendiaire et massacrant ne s’était pas encore chargé de dégriser les esprits. La république fédérale, selon le mot d’un orateur, ne devait périr qu’au pied des barricades de Valence et de Séville ; c’est le sort des utopies de naître et de mourir dans le sang. Encore ignorante de son destin, l’idole siégeait sur un autel, mystérieuse comme une Isis voilée à qui, soit prudence, soit respect, on n’avait garde de dérober son mystère. Le plus grand mérite des dieux est de rester inconnus et de bien garder leur secret.

Il était un point cependant où dès le principe le gouvernement avait rompu en visière avec les intransigens. Ceux-ci, imperturbables raisonneurs, lui représentaient que toute confédération repose sur un contrat, qu’on ne peut traiter ensemble que lorsqu’on est plusieurs, que partant, pour former une Espagne fédérative, il fallait commencer par émanciper les provinces et mettre le pays en pièces. Ils désiraient en un mot que la confédération, comme ils le disaient, se fît de bas en haut, et ils engageaient la Catalogne, comme l’Andalousie, la Galice et les Castilles, à rompre leur licou, à faire chacune son ménage à part, quitte à nommer plus tard des délégués avec la mission d’organiser un pouvoir central, qui se fut trouvé possède, le peu d’attributions dont les provinces auraient