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Prusse n’avait pas voulu de l’empire organisé par la démocratie, il ne refuserait pas l’empire constitué par les princes légitimes. Assurément les princes souverains de la confédération n’avaient pas besoin d’une grande clairvoyance pour deviner que cet empire les dévorerait ; qu’importe ? ils n’étaient pas libres. Il y a des courans d’idées auxquels on ne résiste pas ; la passion de l’unité entraînait tous les esprits. Il paraissait donc certain que les choses tourneraient de cette manière : bon gré mal gré, les princes seraient obligés, comme la Prusse les y conviait, de refaire l’œuvre du parlement de Francfort, c’est-à-dire de remettre la direction de l’unité germanique aux héritiers de Frédéric le Grand.

Ainsi treize mois seulement après cette journée du 18 mars 1848, qui avait failli renverser le trôné des Hohenzollern, Frédéric-Guillaume IV, sans avoir sacrifié un seul de ses principes, était désigné de nouveau comme le chef du futur empire. Les représentans de tous les peuples d’Allemagne l’avaient d’abord élu ; le congrès des souverains allait le choisir à son tour. Dans l’une et l’autre sphère, dans le monde de la révolution comme dans l’ordre de la légitimité, le roi de Prusse était le représentant inévitable des volontés de l’Allemagne.

Un homme d’état espagnol, grand et ferme esprit très attentif à toutes les questions européennes, Donoso Cortès, se trouvait alors à Berlin ; il fut singulièrement frappé de cette situation malgré son peu de sympathie pour l’unité allemande, et il la décrivait en ces termes à un ami : « Les plénipotentiaires d’Autriche, de Bavière et de Hanovre se sont réunis ici pour concerter une constitution allemande au nom de leurs souverains respectifs, et, d’accord avec la Prusse, ils ont arrêté cette constitution, qui sera publiée avant peu. La constitution des princes est la même que celle des démagogues de Francfort, sauf pourtant quelques modifications. Ainsi le veto impérial sera non pas suspensif, mais absolu ; le vote des citoyens ne sera pas universel, il sera restreint et assujetti à certaines conditions déterminées. Du reste l’Allemagne sera un état unitaire qui portera le nom d’empire. L’empire sera régi par le roi de Prusse, qui ne s’appellera pas empereur, mais portera un nom allemand qui veut dire curateur de l’empire. Aucun état particulier ne pourra recevoir des autres puissances ni accréditer auprès d’elles des agens diplomatiques : le curateur de l’empire pourra seul en envoyer et en recevoir. Le roi de Prusse lui-même ne pourra le faire qu’en sa qualité de curateur de l’empire. L’Autriche demeurera en dehors de l’union et formera un empire à part. Vous le voyez, c’est la médiatisation de tous les princes allemands. Placés entre la révolution, qui les accable, et la Prusse, qui les écrase de sa protection, il ne leur est resté d’autre choix que celui du genre de mort. On ne les a pas