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de Prusse, sans s’inquiéter des vues personnelles du roi de Hanovre et du roi de Saxe, voulait les contraindre, comme voisins de ses états, à s’associer à lui dans une sorte de Sonderbund princier, qui deviendrait le noyau de l’unité future. Le clairvoyant témoin que nous citions tout à l’heure avait bien raison de dire que pour les princes allemands le résultat était le même ; détruits brutalement par la révolution ou annulés avec respect par la Prusse, ils étaient condamnés à disparaître. Seulement Donoso Cortès avait tort d’ajouter que les deux rois, obligés de périr de la main royale ou de la main populaire, s’étaient résignés au premier genre de mort. On va voir qu’ils ne s’étaient pas résignés le moins du monde. Faisant, comme on dit, bonne mine à mauvais jeu, ils avaient l’air d’être parfaitement d’accord avec Frédéric-Guillaume IV ; au fond, ils comptaient bien que l’Autriche ne tarderait pas à se relever et qu’elle les sauverait de la Prusse. La chose fut clairement révélée quelques mois plus tard, lorsque, l’Autriche en effet ayant repris la liberté de ses mouvemens, le Hanovre et la Saxe (nous en parlerons bientôt) rompirent sans plus de façon le traité du 26 mai, M. de Bunsen n’attendit pas ce revirement des deux rois pour se rendre un compte exact de la situation. Il devina immédiatement que le traité du 26 mai n’était pas sincère de la part des deux rois, et que Frédéric-Guillaume IV, en croyant les associer, ou, si l’on veut, les sacrifier à ses desseins par une manœuvre habile, était en réalité leur dupe. Les rois de Hanovre et de Saxe avaient vu dans ce traité une occasion excellente de gagner du temps. A chaque jour suffit sa peine ; l’Autriche une fois débarrassée de ses périls intérieurs, il ne serait pas malaisé, pensaient-ils, de se soustraire à la redoutable protection de la Prusse. De son poste d’ambassadeur à Londres, habile à recueillir les renseignemens que pouvaient lui donner ses collègues, et si bien initié d’ailleurs aux secrets des cabinets allemands, M. de Bunsen n’avait pas eu de peine à découvrir que l’entreprise du roi son maître était compromise dès le premier jour.

Dès le premier jour en effet, le roi de Hanovre avait adressé une lettre au duc de Wellington pour le consulter sur la conduite à tenir dans ces graves circonstances ; « ne ferait-il pas sagement, demandait-il, de garder sa liberté malgré le traité qu’il avait été forcé de conclure, c’est-à-dire de traîner toutes choses en longueur, afin de laisser à l’Autriche le temps de reconstituer ses forces ? » Le duc de Wellington avait beau lui donner un avis contraire, on voyait bien par cette étrange consultation ce que valait pour le roi de Hanovre le traité du 26 mai. Le gouvernement saxon était dans les mêmes sentimens et ne s’en cachait pas davantage. Le chef de la légation anglaise à Dresde, M. Forbes, très hostile à l’ambition prussienne, avait pris sur lui de faire des représentations assez vives à M. de