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toast à l’empereur, et il était facile de voir qu’il y avait là autre chose que des paroles de courtoisie ; c’était l’hommage d’un dévoûment tout prêt à faire ses preuves. Le vieux roi de Wurtemberg se montra encore plus empressé ; il se leva, et avec un entrain tout juvénile : « Sa majesté l’empereur, dit-il, m’a permis de porter un toast à l’armée autrichienne ; un vieux soldat ne fait pas de phrases, mais il suit la voix de l’empereur partout où elle l’appelle. J’exprime le vœu le plus cher de l’armée en disant : Vive l’empereur ! » Ce langage fut très remarqué en Allemagne et en Europe ; ce n’était pas l’empereur d’Autriche, c’était l’empereur que saluaient ces hommages. On était reporté au temps où les différentes souverainetés de l’Allemagne reconnaissaient la suprématie de l’empire et où l’empire appartenait aux Habsbourg. « Je vous remercie, répondait François-Joseph. Ces paroles sont un honneur pour moi et pour l’armée ; nous sommes fiers de marcher à l’ennemi avec de si braves camarades[1]. »

On ne parlait pas seulement à Bregenz, on agissait. Un traité conclu entre les trois souverains proclama que la diète existait légitimement, et que c’était son droit comme son devoir de réprimer l’insurrection de la Hesse électorale. Il fut donc décidé que la diète répondrait à l’appel de l’électeur ; l’Autriche fournirait 150,000 hommes, la Bavière 30,000, le Wurtemberg 20,000. Trois jours après, le 15 octobre, l’électeur de Hesse Frédéric-Guillaume Ier adressait sa requête à la diète dans les formes officielles ; le 21, la diète vota la répression ; le 26, elle nomma le commissaire fédéral chargé d’exécuter son arrêt et de rétablir l’autorité de l’électeur.

Outre ces alliés de Bavière et de Wurtemberg, l’Autriche pouvait compter sur un autre appui, si la guerre eût éclaté. Quelques jours seulement après le traité de Bregenz, l’empereur d’Autriche avait une entrevue avec l’empereur de Russie (25-28 octobre). C’est dans cette entrevue que le tsar, naguère un des admirateurs de M. de Radowitz, qualifia si vivement ses contradictions. « Jusqu’à présent, disait-il, j’avais compris les choses les plus ardues ; je ne puis absolument rien comprendre à la politique de M. Radowitz. » Le tsar était entièrement d’accord avec le prince de Schwarzenberg ; il encouragea l’empereur d’Autriche à étouffer dans l’union restreinte le germe de l’unité allemande, unité que Frédéric-Guillaume IV et son ministre prétendaient mener à bonne fin sans rien devoir à la révolution, et qui, malgré leurs distinctions subtiles, serait aussi révolutionnaire en réalité que l’œuvre des démocrates de 1848. Il était de jour en jour plus évident que l’affaire de la

  1. « Die beiden Könige brachten Offentlich an der Tafel nicht dem Kaiser von OEsterreich, sondern dem Kaiser ein Hoch. » Voyez l’écrit intitulé : Vier Monate auswärtiger Politik, Berlin 1851, p. 12.