Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 108.djvu/360

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

arrive de Berlin, son âme vibre. C’est parfois un élan d’espérance, le plus souvent c’est un cri de douleur et de colère. Le 20 février 1850, il écrit ces mots : « Il faut absolument que l’unité allemande se fasse. Aujourd’hui, à la onzième heure, toutes les influences funestes réunissent leurs efforts afin d’empêcher cette grande création européenne, ou, pour mieux dire, cette grande renaissance. Vains efforts ! les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre elle. Toutes les puissances du continent sont contre nous, et il y a des traîtres dans notre camp ; les princes tiendront une conduite plus ou moins équivoque maintenant que le péril est passé ; mais ils sont liés par leurs parlemens populaires, par leurs finances et leurs dettes. On ne se débarrasse pas de ces liens-là comme beaucoup d’entre eux se sont débarrassés de leurs promesses. » Qui lui inspire ce langage ? La prochaine réunion du parlement d’Erfurt. Il n’a garde pourtant de se faire illusion, il est mécontent des peuples, encore plus mécontent des princes, et quand il s’attache à la cause de l’unité germanique avec l’obstination du désespoir, il se compare à un naufragé. « Je m’y cramponne, dit-il, comme le soldat naufragé se cramponne à un débris du vaisseau, aimant mieux s’engloutir avec lui que de chercher refuge sur quelque navire étranger. » Cette obstination le rend attentif à tous les incidens de la lutte. Il sait ce qu’on dit à Munich, à Dresde, à Stuttgart, dans les conseils des princes ; il sait ce que font les collègues ou les agens de M. de Radowitz, ceux qui trahissent le roi, ceux qui trompent le ministre, et il les dénonce avec une incroyable liberté de langage. Quelquefois, étonné lui-même de son audace, il s’arrête tout à coup, puis il rassure sa conscience de diplomate et recommence de plus belle. « De telles choses, écrit-il un jour à Radowitz, ne doivent pas pénétrer dans nos archives, du moins par mon fait ; mais soyez sûr que nos enfans les liront un jour dans bien des mémoires. Il faut donc que vous les sachiez, vous qui êtes dévoué au roi. »

Enfin quand les jours de honte sont venus, quand la Prusse, au lieu de secourir la Hesse, recule devant l’Autriche et s’incline à Varsovie devant le tsar Nicolas, il se voit reporté aux heures les plus sombres du passé. Il date ses lettres de 1806 ! Oui, à l’entendre, l’année sinistre a reparu. La Prusse est comme au lendemain d’Iéna. Seulement, au lieu de Napoléon, c’est la Russie qui dicte la loi à l’Allemagne. Écoutez-le :

« L’Autriche monte la garde à la porte du cabinet du tsar, assistée de ses écuyers, les petits rois de la confédération du Rhin, tous impatiens de ramener l’ancien joug, le joug des maisons princières absolutistes infidèles à leur parole, infidèles à la patrie. La dernière heure de la Prusse a sonné, si elle ne se lève pas comme en 1813. Une foule de