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misérablement. L’aveugle parti de la Kreuz-zeitung peut étaler tant qu’il voudra son système historique ; Rochow, Gerlach, Stahl, peuvent continuer tant qu’ils voudront de parler et d’agir contre la Prusse, dans le sens de l’Autriche et de la Russie, ils échoueront tous, car c’est Dieu et non pas Manteuffel qui gouverne le monde. Les conférences de Dresde ne produiront rien ; ce qui en peut sortir de meilleur, c’est quelque faible cliché de la constitution de la diète que le premier souffle emportera. En attendant, nous agirons sans relâche contre nos bons amis Nicolas et François-Joseph, nous encouragerons les Turcs, nous conseillerons aux Italiens de se grouper autour de la maison de Savoie, nous tâcherons de faire comprendre au parti révolutionnaire national dans toute l’Europe que le Piémont et la Prusse sont les deux seuls états européens dont l’existence et l’avenir soient étroitement liés au succès de l’idée de nationalité en ce qu’elle a de raisonnable. Nous nous entendrons avec le parti libéral en Suède (qui vient précisément de remporter une grande victoire au parlement de Stockholm), parce que tôt ou tard les libéraux suédois sentiront et agiront en Scandinaves. Nous empêcherons à tout prix l’accroissement des états moyens de l’Allemagne, nous étoufferons cette idée diabolique et digne des Habsbourg d’un Sonderbund hanovrien-saxon-oldenbourgeois,… puis nous attendrons le moment où l’Autriche, essayant de régler ses finances et d’organiser son système politique, fera un éclatant fiasco ; alors, comme on dit, chacun son tour ! Alors nous lui rendrons, à ce Schwarzenberg, nous lui rendrons avec usure ce qu’il nous a fait[1] ! »


Quel cri de haine ! et quelle sûreté de coup d’œil ! Est-ce le comte Pourtalès qui a tracé cette ligne de conduite ? ou bien n’a-t-il fait que répéter avec passion ce que d’autres politiques avaient déjà conçu dans leur impatience de venger la Prusse ? On ne sait ; en tout cas, voilà bien le programme qui a été réalisé seize ans plus tard, c’est l’annonce fiévreuse de Sadowa. On ne se ferait pas une idée exacte des événemens de 1866, si on n’y voyait pas surtout la revanche de 1850.

Pour nous, dans cet épisode si peu connu des annales contemporaines de la Prusse et de l’Allemagne, ce n’est pas l’intérêt des événemens, si pressant qu’il puisse être, qui a le plus vivement excité notre curiosité ; nous avons été surtout frappé des considérations politiques et morales qui s’en déduisent. Il y a ici un grand exemple des justices de l’histoire. Tout en repoussant cette couronne impériale que lui offrait un parlement trop révolutionnaire à son gré, Frédéric-Guillaume IV avait retenu à son profit une des idées chères

  1. Voyez Mémoires de Bunsen, édition allemande, Leipzig 1871, t. III, p. 171-172.