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la notion se confond avec celle de l’absolue liberté ? D’autre part cependant il dit que cet absolu doit être représenté « sous la forme active de l’esprit, comme un être vivant et personnel qui se détermine lui-même par la pensée, par le désir, par l’action, et qui est tout entier dans l’action. » Ainsi la liberté absolue, étant à la fois pensée, désir et action, se confond avec les trois facultés de l’âme. Tantôt l’auteur, avec un infatigable esprit d’investigation, cherchant un dernier mot qu’il ne trouve jamais, nous dit que dans toutes les doctrines il y a un « résidu, » un « je ne sais quoi, » et que ce résidu, c’est la liberté même, qui n’est « ni déterminée, ni indéterminée, mais déterminante, » plaçant ainsi la puissance et la volonté au-dessous de tout ; tantôt au contraire, craignant avec raison le vague et l’obscurité d’une telle pensée, il ramène la liberté à l’amour, à la bonté, au sacrifice, au désintéressement, que sais-je ? à toutes les vertus. « C’est la liberté, dit-il, qui est la justice, c’est la liberté qui est la charité, c’est la liberté qui est la religion. » C’est encore elle « qui est l’égalité et la fraternité. » En un mot, elle est tout. Nous nous demandons si c’est bien recommander un principe que de le confondre ainsi avec toutes les idées.

Sans doute il y a un dernier résidu au fond de toutes choses, un dernier terme où tout doit se confondre et s’identifier ; sans doute, au-delà de tout ce que nous pouvons connaître et nommer, au-delà même de ce que nous pouvons pressentir et imaginer par quelque lointaine analogie, il y a encore un inconnu, un je ne sais quoi, que les gnostiques, dans leur langue mystérieuse, appelaient éloquemment « l’abîme et le silence, » que la théologie chrétienne appelle le Père, que vous pouvez appeler, si vous le voulez, l’absolu, la liberté, la volonté, etc. ; seulement ne croyez pas par tous ces noms représenter des idées distinctes. Il y a une limite au-delà de laquelle le langage humain, comme la pensée humaine, ne peut plus rien atteindre ni représenter. La philosophie est impuissante à exprimer l’inexprimable, à définir l’indéfinissable. La musique semble le seul langage qui puisse nous mettre en communication avec cette source infinie ; là est peut-être le secret des émotions ineffables que produisent en l’âme un Beethoven par ses immortelles symphonies, ou encore les auteurs inconnus de nos chants sacrés ; mais là aussi la philosophie expire, car elle n’a à sa disposition que le langage humain, celui qui précise et qui détermine ; ce qui dépasse cette limite appartient au domaine de la poésie et de la religion.

Si les conclusions métaphysiques de M. Fouillée nous paraissent pécher par le défaut de clarté, ce qui est peut-être plus la faute de la nature des choses que la sienne, nous louerons au contraire les belles analyses psychologiques, vraiment neuves et dignes d’entrer