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mettre au-dessus de la honte ; » jugeant les autres, d’après soi-même, on n’osait faire fonds sur la probité de ses compagnons les plus familiers. Or, pas plus que Rome, Athènes n’a connu l’institution des officiers ministériels. Dans presque toutes les sociétés modernes, on rencontre, sous un nom ou sous un autre, ces utiles intermédiaires. Chez les anciens, rien de pareil ; l’embarras était donc grand. Cette fois encore la pratique suggéra l’expédient par lequel se trouvait atténué ce vice des lois. Ce qui fait la fortune d’un banquier, c’est surtout la confiance qu’il inspire. S’il est habile et intelligent, c’est tout profit ; mais être intègre ou du moins en avoir la réputation, voilà ce dont à la longue il ne saurait se passer. La vertu, dans le vrai sens du mot, n’a jamais été, ne sera jamais l’apanage que d’un petit nombre d’âmes d’élite ; cependant à côté ou, si l’on veut, au-dessous d’elle il y a place pour une honnêteté moins noble et plus répandue, qu’imposent les nécessités de certains métiers. Cette probité professionnelle, on la trouvait, sauf exceptions, chez les trapézites. Après leur avoir fait rédiger les contrats comme à des praticiens éprouvés, on eut l’idée très naturelle de leur confier ces mêmes contrats pour qu’ils les représentassent quand ils en seraient requis. Il est souvent question, chez les orateurs, d’actes que l’on dépose entre leurs mains. A leur manière, les banquiers athéniens avaient organisé chez eux ce que nous appellerions la garde et le service des titres.

Chez les Athéniens, la preuve testimoniale était regardée comme très supérieure à la preuve chirographaire ; on l’employait bien plus fréquemment, on lui attribuait une bien autre valeur. C’était donc par la présence de témoins convoqués tout exprès, et plus tard, devant la justice, par leurs dires, que l’on constatait les dettes contractées, les paiemens effectués. Or l’habitude était si bien prise de compter sur l’exactitude et la loyauté des trapézites, que souvent on versait de l’argent dans leur caisse sans se faire accompagner de témoins. S’élevait-il ensuite quelque difficulté, les livres des banquiers produits devant le tribunal devaient trancher la question, tant on les savait tenus avec un soin extrême. Un passage du discours contre Callippe, attribué à Démosthène, nous introduit dans les bureaux d’une banque grecque. « Tous les banquiers, dit l’orateur, lorsqu’un particulier dépose chez eux des fonds qui doivent être remis à une tierce personne, inscrivent sur leur livre d’abord le nom du déposant et le montant de la somme versée, puis écrivent à côté : « à l’ordre de tel ou tel. » S’ils connaissent de vue celui qui doit toucher l’argent, ils s’en tiennent là ; s’ils ne le connaissent pas, ils ajoutent encore une mention, le nom de quelqu’un qui leur est personnellement connu et qui devra leur présenter le tiers auquel ils auront à compter la somme. »