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II

Il y avait à Athènes, vers la fin de la guerre du Péloponèse, une maison de banque dirigée par deux associés, Archestrate et Antisthène. Le premier avait un esclave, Pasion, qui s’était fait de bonne heure remarquer par son intelligence et son activité ; après avoir longtemps profité de ses services, Archestrate affranchit Pasion, puis, de concert avec son associé, lui céda sa banque, peu de temps sans doute après le rétablissement de la démocratie. Toujours est-il qu’en 394, année où fut écrit le Trapézitique, Pasion était déjà chef de maison. C’est à lui, à lui seul que s’en prend le client d’Isocrate ; c’est lui qu’il accuse de nier un dépôt, de ne pas vouloir représenter des sommes versées en compte-courant dans la caisse de la banque. Les faits allégués ici sont-ils vrais ou faux ? On ne peut le dire ; le récit d’Isocrate n’en est pas moins intéressant par les physionomies et les tableaux de mœurs qui s’y dessinent, par tout ce qu’il nous apprend des allures et du langage de la gent financière d’Athènes.

Le discours est composé pour le fils de Sopæos, un de ces aventuriers grecs qui faisaient leur fortune auprès des petits princes à demi barbares du Bosphore cimmérien et de la Thrace. C’étaient parfois d’habiles officiers qui savaient réunir une bande de mercenaires ou armer et exercer à la grecque un corps de troupes indigènes ; mais la plupart d’entre eux s’occupaient plutôt encore d’affaires d’argent : ils étaient les ministres des finances et les banquiers de ces princes, ils jouaient auprès d’eux à peu près le rôle que depuis plusieurs siècles les sarafs arméniens remplissent auprès des sultans et des pachas turcs. Quelquefois exposés comme ceux-ci à des disgrâces subites, suite de quelque intrigue de palais, ils finissaient presque toujours par s’en tirer. Au bout de quelque temps, cela se dénouait par une réconciliation dont les sujets du prince et les marchands étrangers devaient bientôt payer les frais. C’est qu’il en avait coûté cher au ministre pour fermer la bouche à ses ennemis et pour apaiser le souverain.

Sopæos était le favori de Satyros, prince du Bosphore, qui avait avec les Athéniens des relations garanties par un traité de commerce et fort profitables aux deux parties. Le Pirée tirait du Bosphore de grandes quantités de blé. Sopæos avait un fils qui voulut voir Athènes. Le père mit à la disposition du voyageur une forte somme d’argent et l’envoya au Pirée avec plusieurs cargaisons de blé et d’autres denrées. Tout en jouissant des plaisirs de la grande ville, le jeune homme ne négligerait pas les affaires ; il placerait les marchandises de son père, il entretiendrait ses relations,