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chacune dans sa propre cause ; vers le milieu du IVe siècle, l’intervention d’un tiers, véritable avocat à la manière romaine ou moderne, devient chose assez fréquente. Ce n’est point un droit, mais c’est une tolérance qui passe en habitude ; pour autoriser un ami, qui sera souvent un orateur de profession, à venir plaider pour l’un des acteurs du procès, le jury, surtout quand il s’agit du défendeur, se contente souvent du plus léger prétexte : il suffit de faire valoir sa jeunesse, son inexpérience, son origine étrangère, les liens de la parenté ou d’une vieille amitié. On dit quelques mots dans ce sens, et, sur un signe des juges, celui dont on a réclamé le secours monte à la tribune et prononce le vrai plaidoyer.

Ce fut à Démosthène que Phormion s’adressa. Celui-ci, âgé de trente-deux ans, était depuis la mort ou la retraite de son maître Isée le plus en vogue des logographes athéniens, et déjà il commençait à se faire connaître comme orateur politique ; il avait, deux ans plus tôt, prononcé son beau discours Sur la loi de Leptine. Démosthène accepta et composa pour Phormion un plaidoyer qui est un chef-d’œuvre dans son genre. De plus en plus attiré par la politique, qui devait bientôt l’absorber tout entier, Démosthène avait tout intérêt à s’assurer, par un de ces services que l’on n’oublie pas, le dévoûment d’un banquier adroit et fidèle qui lui fît valoir sa fortune, et qui pût au besoin lui faire des avances de fonds.

Démosthène parla le premier. On retrouve dans ce discours les meilleures, les plus rares qualités du grand orateur ; l’inanité des prétentions d’Apollodore y est démontrée jusqu’à l’évidence, et l’insolente audace avec laquelle il les a produites est expliquée par les vices de son caractère. Dans la discussion des preuves et l’exposition des lois qui régissent la matière, on reconnaît la précision habituelle à Démosthène et le talent qu’il possède, comme Isée, de voir les choses de haut, d’en indiquer la cause et la raison philosophique. Apollodore réclamait 20 talens qu’il prétendait avoir été laissés par Pasion, comme fonds de roulement, à son successeur ; selon lui, s’il ne pouvait fournir la preuve de ces avances, dont l’héritage aurait été frustré, c’est que Phormion aurait retenu, falsifié, détruit les papiers de Pasion. La réponse est facile. Le partage du patrimoine n’avait pu être fait, d’abord au lendemain de la mort de Pasion, puis, pour la partie restée indivise et tenue à loyer par Phormion, lors de la majorité de Pasiclès, sans consulter ces papiers ; à la suite de ces deux partages, Apollodore n’a soulevé aucune réclamation. D’ailleurs les livres de Pasion ont été si bien remis à son fils aîné que celui-ci s’en est servi pour faire rentrer, par toute une série de poursuites, des dettes arriérées jusqu’à concurrence de 20 talens. De plus Pasiclès, aussi intéressé qu’Apollodore à