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son procès. Nous avons un plaidoyer dirigé contre un certain Stéphanos, qu’il poursuit comme faux témoin ; dans ce discours, tout plein de sophismes qui se réfutent d’eux-mêmes, éclate une rage que n’arrête plus aucun respect humain. Passe encore pour les invectives dont il accable Phormion ; mais son propre père, il en parle comme d’un vieillard tombé en enfance ; son frère Pasiclès, il le renie ; sa mère, il l’insulte et la déshonore. A l’entendre, Pasiclès serait né d’un commerce adultère ; bien avant la mort de Pasion, Phormion aurait été l’amant de celle qu’il devait épouser plus tard. Le discours contre Néère, postérieur de quelques années, nous montre Apollodore poursuivant, à propos du nouveau procès où il a succombé, une vengeance du même genre ; puis, à partir de 340 environ, il disparaît de l’histoire. Quant à Pasiclès et à Phormion, on sait par quelques mots d’un discours perdu d’Hypéride que, depuis la réforme triérarchique opérée par Démosthène en 340, ils figuraient encore au nombre des citoyens les plus riches ; ce court fragment laisserait même croire qu’ils s’étaient associés.

Nous ne craignons pas d’avoir retenu trop longtemps l’attention sur les trapézites athéniens, sur leurs origines, leurs mœurs, leurs opérations, les services qu’ils rendaient à la cité. Tant que l’histoire économique de l’antiquité ne sera pas tout au moins préparée, esquissée à grands traits, l’histoire politique offrira presqu’à chaque pas des problèmes insolubles. Ainsi, pour ne parler que d’Athènes, on a tout d’abord peine à comprendre comment, avec les vices de sa constitution, les entraînemens de sa démocratie et les fautes continuelles de ses hommes d’état, elle a pu fournir encore une pareille carrière, avoir deux siècles d’une incomparable grandeur et réparer si vite ses pertes au lendemain de chacun de ses désastres. Ce qui explique cette élasticité, ce ressort, ce sont surtout les habitudes laborieuses de la population athénienne ; c’est l’espèce de divination par laquelle Athènes, avec sa vive intelligence, avait pressenti certaines vérités économiques, ébauché certaines institutions commerciales. Chez les Athéniens, tout le monde ou presque tout le monde, citoyens, étrangers, esclaves, travaillait et produisait, chacun à sa manière. Dans ce tableau de la vie athénienne que nous cherchons à tracer d’après les orateurs attiques, aurait-il été juste d’oublier les trapézites, ces obscurs et patiens ouvriers de la fortune publique, ces lointains ancêtres des banquiers juifs et lombards auxquels se rattachent, par une filiation directe, ceux qui dans la société moderne manient, avec une bien autre puissance, ces merveilleux instrumens de progrès, le capital et le crédit ?


GEORGE PERROT.