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location de la troupe et donner la réplique aux défectionnaires, s’il doit s’en rencontrer, ce qui serait une vraie honte ; mais dans les débâcles de ce monde, grandes ou petites, il faut tout prévoir et ne jamais compter sans la vilenie des hommes. D’autre part, un théâtre comme l’Opéra y regarde à deux fois avant d’aller courir les aventures du Roman comique et traîner ses hardes sur des planches d’occasion. Évidemment un moyen terme est à trouver, et peut-être que de grands concerts formant spectacle, des intermèdes dont Gluck et les maîtres classiques fourniraient le programme, seraient la meilleure pratique pour maintenir la troupe et le public en haleine. J’admire en tout ceci la conduite du directeur ; impossible de montrer plus de sang-froid et d’opposer au mauvais sort plus de courage et d’honnêteté. Notons que ce désastre est venu surprendre le théâtre au comble de sa prospérité, et dans un moment où, des résultats inespérés étant obtenus, il paraissait presque que la chance n’eût désormais plus qu’à tourner. Bien d’autres qui passent ou plutôt qui s’imaginent passer pour de fortes têtes eussent rapidement saisi ce prétexte de mettre à couvert leur fortune, quittes au besoin de revenir le lendemain exploiter au compte de l’état la suite des affaires. Le directeur actuel de l’Opéra n’a point jugé convenable d’agir ainsi. « Tout est perdu, donc je reste, » a-t-il dit, rassurant dès la première heure les intérêts des pauvres et des riches ; ce qui, même au seul point de vue de la spéculation, serait encore fort habile pour empêcher la dispersion immédiate d’une troupe à laquelle l’événement de la veille rendait sa liberté d’action. Vis-à-vis d’une administration qui se comporte ainsi, pas un pensionnaire n’aurait le front de marchander sa bonne volonté, ou d’aller profiter à l’étranger du cas de résiliation dont l’incendie le gratifie. Un homme est pourtant bien à plaindre au milieu du désarroi de cette catastrophe, le veux parler de l’auteur de Jeanne d’Arc. Ce que c’est que les vicissitudes humaines, et que de vérité dans ce proverbe « qu’entre la coupe et les lèvres il y a toujours place pour un malheur ! » M. Mermet voyait se réaliser le plus cher de ses rêves ; dix années de travail forcené, de luttes implacables, recevaient enfin leur récompense. Les répétitions marchaient à ravir ; Mlle Devriès commençait à se familiariser avec ce terrible rôle de guerrière ; M. Faure, qu’au premier abord les manuscrits du temps avaient rendu si perplexe au sujet du personnage de Charles VII, M. Faure peu à peu s’habituait à la figure du monarque. L’arbre aux fées étendait ses ramures pleines de concerts angéliques, les jardins de Chinon se peuplaient de fleurs et d’oiseaux, les tentes se dressaient sur les champs de bataille d’Orléans, la cathédrale triomphante s’étoilait de cierges et de fleurs de lis. On allait donc enfin l’entendre ce fameux Veni creator qui pousse à la victoire les soldats de Dieu, et cette marche du sacre, elle allait aussi retentir aux acclamations des multitudes. « Est-il